Plusieurs anciens bénéficiaires du RAMED ont du mal à accéder à l'AMO pour des raisons d'éligibilité au Registre Social Unifié (RSU), se retrouvant ainsi dans une situation de précarité alarmante. Retour sur le calvaire des laissés-pour-compte. Décryptage. Jeudi 22 février, le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, a annoncé, sur un ton satisfait, les derniers chiffres concernant les personnes inscrites à l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO). Selon les données officielles, 11,4 millions de personnes sont censées être affiliées à l'AMO Tadamon, le nouveau régime qui prend en charge les personnes démunies qui bénéficiaient auparavant du RAMED et qui sont en incapacité de payer leurs cotisations. Sauf que ce chiffre louable ne comprend pas une partie des anciens bénéficiaires du RAMED qui se sont vus privés d'accéder au nouveau régime pour des raisons d'éligibilité. Nombreux sont les gens qui ont du mal à s'inscrire à l'AMO Tadamon bien qu'ils s'estiment éligibles. C'est le cas de Rachid, 26 ans, dont la mère, ex-ramediste, n'a pas eu droit d'accès sous prétexte qu'elle ne remplit pas les conditions requises. "Nous sommes allés à l'Agence de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) pour nous enquérir de son cas, mais ils nous ont posé des questions incompréhensibles sur sa situation matérielle, avant de nous dire qu'elle n'est pas éligible", explique-t-il. "Je ne comprends pas pourquoi on juge inéligible une personne qui bénéficiait avant du RAMED, ce qui était en soi une preuve de sa précarité", poursuit notre interlocuteur, l'air perplexe.
Couac administratif ! Depuis le lancement d'AMO Tadamon, tous les ex-bénéficiaires du RAMED ayant une carte valide ont été transférés automatiquement et simultanément vers le nouveau régime. Le problème se pose particulièrement pour les personnes dont la carte RAMED a expiré avant le passage vers le nouveau système. Pour y accéder, elles doivent prouver qu'elles sont éligibles. Contactée par nos soins, une source au sein de la CNSS nous explique que l'examen des conditions à l'accès à l'AMO Tadamon ne se fait pas au niveau des agences de ladite Caisse. Notre interlocuteur rappelle que l'inscription des ex-ramedistes à l'AMO Tadamon passe impérativement par l'inscription au Registre Social Unifié (RSU) et au Registre National de la Population (RNP). "Une fois éligible à AMO Tadamon, le ministère de l'Intérieur envoie à la CNSS la liste des bénéficiaires à immatriculer", explique notre source. En effet, la procédure se fait en trois étapes. D'abord, il faut s'inscrire dans le RNP, puis dans le RSU, avant de faire une demande formelle pour bénéficier de l'AMO auprès des autorités locales. L'accès est conditionné par une note obtenue sur la base de laquelle les autorités identifient les programmes d'aide sociale compatibles aux demandeurs. L'accès à l'AMO Tadamon est soumis à deux conditions. D'abord, il faut que le score socio-économique ne dépasse pas le seuil de 9,3264284, selon les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, dont le décret n°2.22.797 portant application de la loi n° 65.00, portant Code de la couverture médicale de base. Cela dit, le chef de famille et ses ayants droit doivent avoir un score égal ou inférieur au seuil susmentionné pour pouvoir accéder à l'AMO. Ce score socio-économique se base sur des données personnelles fournies par l'intéressé lui-même, à savoir les dépenses courantes, telles que la consommation d'eau et d'électricité, la possession de matériel informatique, l'accès à internet, le moyen de transport, le patrimoine disponible, qu'il soit financier ou immobilier, l'existence de crédit...etc. Grosso modo, l'Etat évalue le train de vie de la personne concernée sur la base d'informations fournies par la personne elle-même et vérifiées ensuite par l'administration. Le scoring se fait à l'aide d'une formule mise en place par le HCP depuis plus de sept ans. La formule est si complexe qu'elle prend également en compte d'autres facteurs géographiques, tels que le milieu et la région de résidence. Tout cela pour savoir si l'intéressé est en situation de vulnérabilité qui l'empêche de payer ses cotisations. Le problème est qu'il arrive parfois que des personnes n'ayant pas de revenus mais ayant un bien immobilier se voient écartées. Par exemple, le cas d'une veuve sans revenu fixe ayant un héritage, qu'il soit récupéré ou pas.
Des critères pénalisants ? En gros, la note se base pour évaluer le niveau de vie sur le patrimoine et les dépenses effectives plutôt que sur le revenu. Une formule adoptée pour éviter les fraudes des personnes qui opèrent dans l'informel. Les critères d'éligibilité ne sont pas adaptés à certains cas spécifiques et aboutissent, en conséquence, à quelques injustices, estime Saâd Taoujni, spécialiste en politique publique et Management de la Santé, qui plaide pour une approche différente qui prend plus en considération le facteur revenu. "Le système n'est pas rigide", nous explique une source du ministère de l'Intérieur qui a accepté de répondre succinctement à nos questions. Sans livrer plus d'informations, elle nous fait savoir que la révision des critères d'éligibilité n'est pas à exclure et qu'il y a une prise de conscience de la nécessité de régler le problème des personnes exclues. Il est possible, poursuit notre interlocuteur, que le ménage demande une réévaluation de son score en apportant les éléments de preuve. Aussi, la formule est-elle actualisée tous les trois ans pour être adaptée à la réalité des ménages, insiste notre source.
Une lueur d'espoir Entre-temps, les personnes exclues de l'AMO Tadamon ont de la peine de se voir dépourvues de l'assurance maladie, d'autant qu'elles n'ont aucun moyen de se payer les soins. Les personnes ayant des maladies chroniques et des pathologies graves ou cancéreuses peuvent bénéficier de la gratuité des soins pendant une période transitoire en vertu d'une circulaire signée par le ministère de la Santé, tel qu'annoncé, le 15 janvier 2024, par le ministre Khalid Ait Taleb à la Chambre des Représentants. Cette dérogation permet donc aux ex-ramedistes de ne pas interrompre les soins. "Cette décision est toujours en vigueur en attendant que la situation administrative des personnes concernées soit réglée", nous assure une source ministérielle qui a requis l'anonymat. A l'exception de cette possibilité, les ex-ramedistes peuvent s'inscrire dans le régime "AMO Achamil" destiné aux personnes n'exerçant aucune activité rémunérée mais qui sont en mesure de cotiser. Ceci mène parfois à des situations particulières où une personne ayant accès aux aides sociales directes se voit amenée à payer sa cotisation à partir des aides qu'elle reçoit. Trois questions à Saâd Taoujni : "Il faut revoir les critères d'éligibilité avec une approche fiscale plus équitable basée principalement sur des critères de revenus" * Nombreux sont les ex-ramedistes qui se sont vus exclure du régime de l'AMO Tadamon faute de répondre aux conditions prévues par la loi. Pensez-vous que les critères d'éligibilité sont pénalisants pour certaines catégories sociales ? Ce n'est pas une loi qui a fixé les critères d'éligibilité mais un décret de nature réglementaire et surtout basé sur une formule mathématique élaborée par le Haut-Commissariat au Plan. À mon avis, les critères retenus pour évaluer l'éligibilité des personnes au régime de l'AMO Tadamon ne sont pas tous adaptés et produisent parfois des injustices puisqu'ils se basent souvent sur des éléments variables comme la consommation du gaz butane, d'eau, d'électricité, l'accès à un crédit ou à internet, le fait d'avoir une douche ou le bénéfice d'une pension même si elle ne dépasse pas 200 ou 300 DH. Cela dit, sous prétexte de lutter contre la fraude sociale, parfois des personnes démunies sont privées de l'accès à AMO Tadamon. Il existe des cas de travailleuses domestiques âgées ou de veuves sans enfant et démunies ayant hérité, par exemple, d'une petite part dans un logement social situé dans un quartier pauvre et sensible dans une grande ville comme Casablanca. A mon avis, il faut revoir la conception des critères de façon à garantir l'accès, le plus équitablement et largement possible, aux personnes en situation de précarité à la couverture médicale, pour que celle-ci ne soit pas interrompue pour défaut de paiement et qu'elle devienne réellement universelle.
* Pensez-vous qu'il faut se concentrer davantage sur le revenu comme critère essentiel ?
Il ne fait aucun doute qu'il faut accorder plus d'importance au critère du revenu mais pour cela, il faut procéder à une profonde réforme fiscale, à un plan de lutte contre l'informel, à la réduction du cash en circulation, etc. Il faut disposer d'une définition claire de la classe moyenne. C'est d'un très grand chantier qu'il s'agit. Est-ce que notre pays le souhaite réellement ? En attendant, il faut privilégier le financement par l'impôt, comme des taxes sur les produits polluants ou nuisibles à la santé ou une TVA sociale.
* Pensez-vous que le dispositif de ciblage permet d'identifier l'ensemble de la population cible ?
Pour ce qui est de l'AMO Tadamon, on a estimé la population démunie à 11 millions de bénéficiaires. Personnellement, il me semble qu'elle demeure sous-estimée. Je rappelle que, selon le ministre de la Santé, il y avait 16,5 millions de ramedistes. Gardons à l'esprit que le système de l'AMO Tadamon est variable du moment que l'entrée et la sortie du système sont très fréquentes. Je rappelle que près d'un million d'assurés principaux n'étaient plus couverts durant cinq mois à cause de l'expiration de la date de validité de la carte selon les déclarations du ministre Fouzi Lekjaâ à la Chambre des Conseillers. Un motif souvent évoqué dans les cas de refus. A mon avis, cet argument ne tient pas à l'ère de la digitalisation. En fait, les sorties sont dues à l'instabilité de la note attribuée (RSU) aux assurés, laquelle est très fluctuante selon la variation des données personnelles collectées par l'agence nationale des registres chez les différents opérateurs publics ou privés dans les domaines de téléphonie et d'internet, de crédits bancaires, de la conservation foncière, d'immatriculation des voitures et des motocycles, des régies distribution d'eau, d'électricité, etc. Cette instabilité entraîne la rupture des prises en charge et l'arrêt des soins, souvent de maladies chroniques, après un petit délai. Le ciblage pose encore de nombreux problèmes. Des personnes réellement démunies ne bénéficient pas de l'AMO Tadamon.
Aides directes / AMO : Des seuils différents Force est de constater que la note nécessaire pour accéder à l'AMO Tadamon (9,32) est inférieure à celle de l'Aide Sociale Directe (9,74). Selon Saâd Taoujni, cette différence aboutit au fait que des personnes éligibles aux aides de l'Etat soient obligées d'en affecter une partie au paiement des cotisations à AMO Achamil. "Il est nécessaire de rappeler que l'AMO Achamil, qui est étonnamment facultative, ne va pas aider à l'atteinte des deux premiers objectifs de la Loi-Cadre 09-21, à savoir l'obligation et la généralisation de l'AMO à tous les Marocains", explique Saâd Taoujni, qui appelle à consentir davantage d'efforts pour assurer une véritable couverture universelle. Généralisation de la couverture médicale : Où en sommes-nous ? Pour faire clair, le système de l'Assurance maladie obligatoire est composé de quatre régimes, en fonction des conditions socio-économiques des adhérents. Pour les salariés et les fonctionnaires, le système fonctionne sans difficultés puisqu'ils payent leurs cotisations en plus des charges patronales. Selon les dernières données actualisées du ministère de la Santé, 9,86 millions de salariés sont inscrits dans la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), dont 3,6 millions adhérents actifs, 680.000 retraités et 5,4 millions ayants droit. Pour ce qui est du secteur public, les caisses de prévoyance comptent 3,11 millions de membres, dont 867.000 actifs, 540.000 retraités et 1,7 million d'ayant-droits. En généralisant la couverture sociale, l'Etat a dû intégrer les travailleurs non-salariés (y compris les indépendants), qui paient eux aussi leurs cotisations à travers la Contribution professionnelle unique. Selon les derniers chiffres du ministère de la Santé, ils sont environ 3,76 millions personnes, dont 1,86 million de chefs de ménage et 1,9 million ayants droit, à bénéficier de ce régime. Pour le reste de la population, les personnes sans travail mais ayant la capacité de s'acquitter de leurs charges sociales peuvent bénéficier de l'AMO Achamil qui demeure, rappelons-le, un système facultatif. 4319 bénéficiaires sont recensés jusqu'à présent.