Face à ses fragilités structurelles, le Maroc est dans l'incapacité de révolutionner son modèle économique. Depuis plusieurs années, il compose avec ses contraintes et ses richesses. Le retard pris dans la Loi de Finances 2017 risque de peser à quelques décimales près sur le taux de croissance escompté. En matière de politique de change, Hicham Alaoui Bensaid, directeur des Risques, de l'information, des sinistres et du recouvrement à Euler Hermes Acmar, craint qu'un régime flexible induise une instabilité des cours. Entretien.
Finances News Hebdo : En scrutant les chiffres des premiers mois de l'année en cours, nous remarquons que le déficit commercial relatif aux transactions des biens et services a dépassé au terme du premier trimestre la valeur de 30 Mds de DH. Idem, les flux financiers que ce soit au titre des voyages, des investissements étrangers ou même des transferts des MRE enregistrent un recul significatif. Du coup, le taux de croissance de 4% escompté pourrait-être loin des objectifs attendus. Est-ce que le Maroc est ainsi appelé à changer de modèle économique ?
Hicham Alaoui Bensaid : Le modèle économique marocain est principalement induit par les contingences et contraintes intrinsèques à sa structure, notamment, et au contraire d'un certain nombre de pays africains et arabes, la non disponibilité de 'commodités' à très forte valeur ajoutée (hydrocarbures, pierres précieuses…). Ainsi, les 100 milliards de dollars du PIB du Royaume sont de fait drivés, approximativement, à 55% par les services (dont plus de 11% pour le seul secteur du tourisme), à 30% par le secteur secondaire (avec l'OCP en tête de file, avec une contribution propre au PIB national de l'ordre de 4%) et à 15% par l'industrie agroalimentaire. Dans une telle logique, les gouvernements successifs, dans l'incapacité pratique de révolutionner ce modèle économique, ont davantage œuvré à la consolidation de facteurs-clés de succès, à travers par exemple le Plan Maroc Vert, destiné à améliorer la productivité et l'inclusion agricoles, mais aussi le Plan Emergence, puis celui d'Accélération industrielle. En d'autres termes, le Maroc semble davantage dans une optique pragmatique de composition avec ses contraintes et ses richesses, tout en rappelant que le modèle économique national ne saurait être révolutionné, car dépendant des contraintes et contingences évoquées plus haut.
F.N.H. : Dans le même sillage, les pronostics tablent sur un taux de croissance oscillant autour de 4% à fin 2017. A votre avis, le retard pris dans l'adoption de la Loi de Finances 2017 et surtout le fait que l'investissement public n'ait pas pu être pleinement engagé tout au long du premier semestre, ne risquent-ils pas d'avoir des répercussions sur la dynamique de croissance économique de l'exercice en cours ?
H. A. B. : Je pense qu'il s'agit d'un faux débat, ou du moins très largement surestimé, tout simplement parce que la Loi de Finances n'empêche pas la pluie de tomber, les touristes d'affluer et l'OCP d'exporter du phosphate et des engrais. En revanche, l'impact du retard pris dans l'adoption de la Loi de Finances a très certainement induit des répercussions indirectes sur certaines décisions stratégiques d'entreprises publiques et privées, notamment celles liées aux investissements et aux recrutements. Là encore, les retombées des investissements étant visibles, en termes de création de richesses, quelques mois, voire quelques années plus tard, l'impact en demeure limité. En revanche, le tassement de la dynamique de recrutement a bien entendu influé négativement sur le pouvoir d'achat, a fortiori dans un pays dans lequel la consommation des ménages pèse près de 60% du PIB. En définitive, je pense que le retard pris dans l'adoption de la Loi de Finances a dû peser pour quelques décimales dans le taux de croissance escompté pour 2017, mais guère davantage.
F.N.H. : A votre avis, un taux de 4% est-il suffisant pour relever les défis qui pointent et surtout aboutir à une croissance inclusive ?
H. A. B. : Clairement non, parce qu'il ne faut pas perdre de vue que notre croissance économique est dans une logique de yo-yo structurel, et que les années à 4 ou 5% de croissance succèdent systématiquement à des années de vaches maigres. De ce fait, ce taux de 4% ne semble pas suffisant pour relever les principaux défis de notre société, à savoir une ultra-dépendance à la commande publique, un chômage endémique, particulièrement chez les jeunes, ou encore un niveau très faible de l'enseignement marocain. A ce titre, une analyse du taux de chômage, stable à 2 chiffres, ou en légère baisse (induite davantage par une baisse du taux d'activité que par de réelles créations d'emplois), renseigne bien qu'un taux de 4,5%, voire de 5% ne rejaillit pas positivement sur les indicateurs de chômage, premier jalon d'une réelle croissance inclusive.
F.N.H. : Bon an mal an, c'est l'agriculture (14% du PIB) qui drive la croissance économique. Et sur le plan industriel, les réalisations, tout aussi conséquentes que prometteuses de la stratégie enclenchée depuis plusieurs années, n'ont pas encore atteint la masse critique pour avoir des retombées significatives sur la croissance économique. Pourquoi à votre avis ?
H. A. B. : C'est là l'illustration de la logique de yo-yo précédemment développée. Une année sur 2, la saison pluviométrique est moyenne voire faible et la croissance économique est plafonnée autour des 2,5%, avant que l'année suivante, généralement de bonne facture en termes de précipitations, la croissance économique n'atteigne à nouveau de meilleurs standards. D'un côté, l'agriculture marocaine demeure principalement vivrière, même si le Plan Maroc Vert a sensiblement accru la productivité agricole. A ce titre, en ne contribuant que pour 14% à la création de richesse, le secteur emploie tout de même près de 2 Marocains sur 5, contribuant de fait, indirectement, à travers la consommation des ménages, à la croissance économique. Et de ce fait, les enjeux ne sont pas exclusivement économiques, mais sociaux et politiques, car il est fort possible d'accroître la productivité agricole (à travers des mesures fiscales incitatives à destination des grands groupes par exemple), mais cela se ferait au détriment de millions de nos compatriotes. Quant au volet industriel, les écosystèmes mis en place tardent à traduire leur impact optimisé en termes de création de valeur ajoutée, car les taux d'intégration industrielle demeurent encore faibles. Attendons donc une montée en gamme de l'écosystème industriel marocain dans sa globalité, pour permettre de proposer une offre de services à même de développer davantage les taux d'intégration industrielle.
F.N.H. : Aujourd'hui, la politique de change au Maroc se trouve dans un tournant aux configurations incertaines, et ce pour moult raisons. Quel diagnostic pouvez-vous nous faire de cette politique de change flexible, dont les détracteurs craignent des coûts supplémentaires liés à l'instabilité du cours de la monnaie ?
H. A. B. : En théorie, le raisonnement est simple. Nous sommes, en tant que pays, importateurs nets, en raison particulièrement de l'absence de ressources en hydrocarbures connues sur notre territoire. En parallèle, nous sommes la 60ème économie mondiale, avec un PIB de l'ordre de 100 milliards de dollars. Notre monnaie, actuellement indexée sur des monnaies très fortes (Euro et Dollar), devrait en toute logique se dévaluer, pour refléter davantage notre réel poids économique. De fait, une dévaluation renchérirait le 'cash out' (importations, service de la dette extérieure, remboursements en capital) et doperait le 'cash in' (exportations, IDE, tourisme…). Or, comme notre endettement a substantiellement crû au cours des dernières années, et que, comme sus-rappelé, nous demeurons structurellement importateurs nets, une politique de change flexible pourrait à court terme induire une instabilité des cours. De surcroît, les récents couacs de communication autour de ce sujet n'ont certainement pas davantage rassuré le marché, même si l'on tient désormais, de la bouche du Chef de gouvernement, que le Dirham pourrait fluctuer à court terme à plus ou moins 5%.
F.N.H. : En étant au quotidien au chevet des entreprises en diagnostiquant les risques auxquels elles sont exposées, quel sentiment règne aujourd'hui dans le milieu des affaires ?
H. A. B. : Un certain nombre de sentiments semblent prévaloir, notamment une réelle inquiétude face à l'allongement des délais de paiement et le manque de mécanismes étatiques permettant de juguler ce phénomène néfaste. En outre, le milieu des affaires tend à se familiariser avec le nouveau gouvernement, dont les attitudes et le mode de communication sont très finement scrutés et analysés par le marché, qui en tire des enseignements à même d'induire des impacts directs sur des décisions stratégiques de recrutement ou d'investissement par exemple. ■