■ Le Maroc a signé plusieurs accords de libre-échange. Un grand pari qu'il n'a pas réussi totalement. ■ Le réajustement de la politique d'industrialisation s'impose désormais avec acuité. ■ Les exportations ne peuvent constituer un moteur de développement sans une politique de change flexible. ■ H. El Malki, économiste, analyse les failles de la politique d'ouverture. ✔ Finances News Hebdo : Peut-on savoir quel type de corrélation existe désormais entre la croissance économique de notre économie et celle du volume de nos exportations ? ✔ Habib El Malki : Les analyses empiriques ont toujours montré qu'il y a une corrélation positive entre croissance économique et exportations. Cependant, quant la base de croissance est fragile, subissant les fluctuations liées à des facteurs exogènes, il y a un renversement de la corrélation. C'est pour cette raison que nous avons constaté, ces dix dernières années, une tendance structurelle à la baisse du taux de couverture qui a perdu une douzaine de points entre 2003 et 2010-2011. C'est un phénomène de structure qui s'explique largement par un déficit de compétitivité de notre appareil productif d'une manière générale et particulièrement de nos exportations. A noter que la structure de nos exportations est à dominante primaire. Dans un contexte mondialisé marqué par une plus forte concurrence, il faut revoir les moteurs de croissance et c'est pour cette raison que nous considérons qu'il faut jeter les bases d'une croissance productive, compétitive, en mettant l'accent sur l'accélération de l'industrialisation du pays. D'autant plus que les effets de l'option de demande intérieure se sont épuisés. Il est temps de redéfinir ou d'ajuster le modèle de croissance qui a fonctionné jusqu'à présent. Plusieurs expériences soulignent qu'une croissance compétitive est déterminée par une offre exportable diversifiée à forte valeur ajoutée et créatrice d'emplois. ✔ F. N. H. : Aujourd'hui, tout le monde est unanime sur le fait que les différents accords de libre-échange signés par le Royaume n'ont pas profité au Maroc. Du moment que ce choix n'est pas irréversible, est-ce que l'on peut espérer que les différents programmes sectoriaux signés par le Maroc porteront leurs fruits dans les prochaines années ? ✔ H. E. M. : L'évaluation provisoire quant à la mise en oeuvre des différents accords de libre-échange a abouti à une réalité : c'est que l'ouverture qui est un pari difficile n'est pas maîtrisée. Le Maroc ne s'est pas préparé avant le lancement de ces différents accords de libre-échange, mais une dynamique a été créée et s'est traduite par des réformes économiques très importantes et aussi par une mise à niveau de notre législation concernant, en particulier, l'environnement de l'entreprise. L'autre aspect qui nous emble très important c'est qu'il faut revoir la politique de change qui est jusqu'à présent rigide, peu flexible et ce dans un environnement très changeant. Une flexibilité faite de manière intelligente peut renforcer le positionnement compétitif du Maroc à travers l'accroissement des exportations. ✔ F. N. H. : Donc on peut prédire que vous campez sur votre position sur la nécessité d'un régime de change flexible, après les explications fournies par K. El Aynaoui de la Banque centrale ? ✔ H. E. M. : Oui, mais je considère que la Banque centrale n'est pas contre et ne le considère pas comme un tabou. Mais les responsables de BAM le considèrent comme une responsabilité partagée entre la Banque centrale et le ministère des Finances. Il faut ouvrir ce dossier et déboucher sur un dispositif de change opérationnel adapté et maîtrisable. ✔ F. N. H. : Est-ce que, d'après-vous, le Maroc dispose de potentialités économiques qui vont lui permettre de mener à bien un régime de change plus flexible et en tirer les fruits escomptés ? ✔ H. E. M. : Il s'agit d'un élément de cette nouvelle stratégie orientée vers l'exportation. Ce n'est pas le facteur déterminant, mais c'est un facteur parmi d'autres. On a souligné qu'il faut accélérer la politique d'industrialisation. Nos produits doivent être plus élaborés, le contenu doit être technologiquement avancé et plus innovant. Autrement dit, la logique du choix industriel s'impose, la logique monétaire concernant une plus grande flexibilité du change est une donnée importante, mais elle n'est pas déterminante dans tout le processus. Une troisième logique consiste à faire changer la culture économique de nos opérateurs, particulièrement ceux qui sont dans le secteur des exportations. On entend par changer de culture, faire de nos exportateurs de véritables concurrents des marchés extérieurs. Il existe une stratégie qui est en rupture avec les pratiques que nous avons connues par le passé qui est baptisée Maroc Export Plus. La mise en œuvre de cette stratégie, à travers notamment une plus grande optimisation des organismes chargés de la promotion des exportations, peut constituer un véritable facteur d'accélération des flux d'exportations vers l'étranger. Optimisation signifie une grande coordination, une plus grande synergie entre les opérateurs de ce secteur. ✔ F. N. H. : Pour ce qui est de la crise européenne, d'aucuns y voient comme une source d'opportunités. Jusqu'à quel degré pouvons-nous croire à cette thèse si on prend en considération le fait que l'UE est notre principal partenaire ? ✔ H. E. M. : La crise européenne présente de grandes opportunités à condition que le Maroc sache bien les saisir, qu'il renforce son attractivité en améliorant son environnement des affaires et en travaillant sur la compression des coûts de production, particulièrement en ce qui concerne le foncier, l'accès au financement… Ce sont là des éléments importants qui peuvent véritablement faire du Maroc un espace d'accueil d'un certain nombre d'activités secouées par la crise en Europe. ✔ F. N. H. : En citant les marges de manœuvre pour l'application du taux de change flexible, vous avez cité l'endettement. Est-ce qu'un taux de 60% du PIB ne vous préoccupe pas aujourd'hui où l'origine des crises financières dans plusieurs pays est le problème des dettes souveraines ? ✔ H. E. M. : Je considère que 60% est tout à fait normal. 60% nous donne une marge pour faire appel aux marchés financiers internationaux, mais dans le but de financer soit la politique des grands travaux, soit des politiques d'industrialisation qui vont permettre au Maroc d'améliorer son taux de croissance. ■ Propos recueillis par Soubha Es-siari