* Les mesures sont venues tardivement car elles sont correctives. * Le Maroc peut se targuer dêtre en croissance en 2009, toutefois, il faut se méfier des généralisations. * Les opérateurs ne peuvent pas condamner le plan anticrise sans lavoir exploré. Et leurs suggestions sont les bienvenues pourvu quelles soient concrètes. * Dans les moments de crise que nous vivons, il faut accélérer la cadence, se retrousser les manches et peut-être même sauter certaines étapes. * Le Maroc peut sen sortir de manière magistrale ou reculer aussi de manière magistrale, sil ne se décide pas pour des options radicales. * Le pays doit se doter dune diplomatie économique, sinon il sera largement dépassé. * Lanalyse de Moulay Hafid Elalamy, président de la CGEM. - Finances News Hebdo : On entend parler de plan anticrise, de plan de sauvetage, voire de plan de soutien. Finalement, où peut se positionner le plan durgence ? - My Hafid Elalamy : Aujourdhui, nous sommes dans une situation inédite au niveau mondial. Nous allons nous répéter en disant que la crise est profonde, sérieuse, inattendue, rapide Elle a frappé en quelques semaines des économies qui ont sombré. Le Maroc est un pays qui, par choix, a décidé dêtre ouvert et ancré à léconomie mondiale et, à ce titre, il en bénéficie lorsqu'elle est en croissance; et il est tout à fait normal quil soit touché lorsque léconomie mondiale est en crise. Il faut reconnaître que cela a pris du temps pour que tout le monde puisse se regarder dans un miroir et constater quil y a une baisse dans certaines activités. Une fois ce constat réalisé, nous nous sommes rapprochés du gouvernement afin de voir ce que nous pouvions mettre en uvre pour faire face à cette situation. Doù ladoption de ce plan. On peut lappeler sauvetage, encouragement, soutien Tous les termes sont bons. Lessentiel est que ça puisse guérir un mal qui nous est transmis par nos partenaires. - F. N. H. : Mais est-ce quon na pas attendu un peu trop longtemps avant de se décider, enfin, à se regarder dans le miroir ? - M. H. E. : La réponse est probablement oui; nous avons été tous surpris par la force de la crise mondiale dans le secteur financier et le fait que le Maroc ait été complètement épargné. Or, cette crise a contaminé le secteur industriel; et cest là que les choses ont changé. Certains voyaient la crise arriver et étaient catalogués de pessimistes. Dautres étaient optimistes de façon structurelle et, parmi eux, certains étaient tactiquement optimistes en avançant quil ne faut pas saper le moral des opérateurs. Ces mesures sont donc venues tardivement car elles sont correctives. Elles sont destinées à résoudre une partie des problèmes constatés. Raison pour laquelle il faut rester vigilant et anticiper, car la crise mondiale n'a pas fini de sévir. - F. N. H. : En dépit de lévolution du contexte, certains hauts responsables déclarent que le Maroc développe une capacité de résistance. Ils avancent comme arguments des indicateurs macroéconomiques sains (budget équilibré, recettes fiscales en progression, baisse de la dette publique..). Quen pensez-vous ? - M. H. E. : Tout cela est vrai dun point de vue macroéconomique. On ne peut pas nier que le prix du pétrole a baissé. Comparé au reste du monde, le Maroc va économiquement bien et a une chance inouïe. Le Royaume peut, en effet, se targuer dêtre en croissance en 2009. Toutefois, il faut se méfier des généralisations. Il faut démonter cette croissance pièce par pièce pour voir quelle est importante dans certains secteurs et négative dans dautres. Aujourdhui, le gouvernement a ajusté sa vision. - F. N. H. : Pensez-vous que le taux de croissance annoncé pour 2009 est réalisable ? - M. H. E. : Tout à fait. Notre pays a ses avantages et ses inconvénients. Il arrive que ses avantages deviennent ses inconvénients et vice versa. Aujourdhui, nous avons été épargnés par la crise financière parce que nous sommes dans une configuration de contrôle des changes qui, dans létat actuel des choses, nous a été profitable. Par ailleurs, la pluviométrie nous a été salutaire. Nous avons souvent espéré une déconnexion de l'agriculture, mais aujourd'hui ce secteur constituera l'essentiel de la croissance. - F. N. H. : Beaucoup estiment que les mesures contenues dans le plan anticrise sont intéressantes, mais que le processus de leur mise en place peut poser problème. Notamment le temps quil faudra pour le comité détudier les dossiers et, surtout, le déblocage du financement en aval. Est-ce justifié ou bien y a-t-il des entrepreneurs qui cherchent à surfer sur la vague de la crise ? - M. H. E. : Il y a de tout ! Au Maroc comme ailleurs, je nai pas encore vu, dans le monde, un pays où chaque fois quil y a des mesures, les entrepreneurs nessayent pas den profiter. Maintenant, à nous de mettre en place des process rapides. Sils ne le sont pas assez, il faut les modifier, mais il ne faut pas condamner le système avant de lavoir exploré. Le plan anticrise est une option concrète aujourdhui. - F. N. H. : Dans ce contexte durgence, pensez-vous que le comité détude de dossiers aura la réactivité nécessaire pour apporter une solution rapide aux attentes des entreprises ? - M. H. E. : La réponse est oui ! Parce quil ne suffit pas dy croire, mais dy travailler et d'agir quand il y aura le moindre retard. Le cas échéant, nous amenderons le mécanisme qui fera défaut. Il faut être actif. Chacun doit faire un travail danalyse de ce qui peut ne pas marcher, mais surtout suggérer et faire des propositions pour régler les problèmes. Il faut adopter une démarche cartésienne, argumenter et, surtout, proposer des solutions. Cest ainsi que nous procédons au sein de la CGEM. - F. N. H. : En parlant de propositions, que pensez-vous de celle d Adil Douiri qui suggère une aide financière directe aux entreprises ? - M. H. E. : Toutes les propositions sont bonnes à prendre ! Lidée dune aide directe mérite dêtre étudiée, nous y avons travaillé avec le ministère des Finances bien avant. Cette proposition et bien dautres sont à létude. Je ne suis pas daccord sur tous les points et jai donné mon point de vue. Mais, il est intéressant que des personnes ou des associations prennent la peine de travailler sérieusement et de proposer des solutions ou des sujet de réflexion. Il faut en avoir encore plus. - F. N. H. : Le Centre Marocain de Conjoncture a également avancé le concept de Pacte national pour la croissance, lidée sous-jacente étant de regrouper tous les programmes sectoriels avec des objectifs communs, histoire daccorder les violons. Partagez-vous cette idée de créer un fil conducteur entre tous les programmes lancés ? - M. H. E. : La CGEM lavait proposé il y a un an et demi. Nous avions même travaillé avec un cabinet international sur une démarche dintégration des contrats-programmes réalisés. Il y a certainement un travail complémentaire à faire. Jajouterai un commentaire : nous constatons, depuis peu, une meilleure articulation de ces contrats-programmes, et plus de travail déquipe entre les différents départements ministériels. On dirait que les uns et les autres trouvent leurs marques et travaillent mieux ensemble. Pour répondre à votre question : oui, il faut une vision stratégique qui englobe le tout. - F. N. H. : Mais certains secteurs ne disposent ni de vision, ni de contrats-programmes ? - M. H. E. : Aujourdhui, les verrous sont identifiés. Tout dabord, notre pays souffre dune lenteur de lAdministration : le cerveau fonctionne bien, le flux nerveux est bel et bien transmis, mais parfois on constate que le corps ne réagit pas. Nous avons encore des choses à améliorer pour que notre croissance saccélère. Si lAdministration bloque, il faut agir, la corriger, la réformer, voire la casser pour la consolider dans le bon sens. Ceci dit, il faut le reconnaître, nous avons des administrations qui ont énormément évolué. Cest le cas notamment de la Douane. Mais tous les départements ne sont pas au même niveau et il y a encore du chemin à parcourir. Ce quil faut bien retenir, cest que ni le privé ni le public ne peuvent soffrir le luxe de gaspiller la denrée la plus précieuse : «Le Temps» ! Dans les moments de crise que nous vivons, il faut accélérer la cadence, se retrousser les manches et peut-être même sauter certaines étapes. - F. N. H. : Comment sortir alors indemne de cette crise ? - M. H. E. : Nous pouvons en sortir de manière magistrale parce que nous disposons réellement de potentialités étonnantes et parce que nous sommes capables du meilleur. Pour cela, il faut régler nos problèmes en les affrontant et prendre son courage à deux mains, sereinement et fermement En adoptant cette attitude, nous bénéficierons de cette crise internationale et nous serons un des réceptacles de la croissance mondiale. A contrario, si cette crise nous tétanise davantage et que nous, public et privé, nous passions au mode passif, les impacts pourraient être à notre désavantage. - F. N. H. : Mais les opérateurs se plaignent de labsence dune diplomatie économique pouvant les accompagner à linternational - M. H. E. : Certains ont choisi de se doter dune diplomatie économique; cela demande beaucoup de moyens. Jespère que nous y arriverons un jour. Nous avons évoqué avec les banques marocaines la possibilité de former nos conseillers économiques à léconomie marocaine. Elles sont prêtes à le faire. Un conseiller économique en poste doit «tout» savoir sur son économie et tout apprendre de léconomie du pays daccueil. Voyez un peu autour de nous les conseillers économiques dautres pays installés au Maroc, ils savent beaucoup de choses sur notre économie. Cest parfois étonnant, ils décortiquent léconomie du pays daccueil et en tirent la quintessence pour leurs pays. Nous navons pas encore cela. Il ne faut pas baisser les bras ! - F. N. H. : Dailleurs, le Maroc ne dispose pas de chambres de commerce à létranger - M. H. E. : Nous nen avons pas les moyens encore. Notre diplomatie devra disposer à terme dune structure économique solide, et les opérateurs doivent, eux aussi, être plus solides à linternational. Le développement économique est un corps en mouvement qui doit être synchronisé. La diplomatie économique est essentielle, et la capacité des opérateurs nationaux à se développer à linternational est son pendant. En tant que CGEM, nous sommes disposés à accompagner toute initiative, mettre à disposition des correspondants dédiés au sein de la CGEM et à partager nos bases de données. Je comprends que cela demande des moyens importants, mais il faut allouer des budgets à ce volet que nous avons jusquà présent négligé. Nous devons rattraper ce retard. - F. N. H. : Pour rester dans linternational, quelle est, selon vous, la portée du Statut avancé pour notre économie, sachant que les pays partenaires sont en récession ? - M. H. E. : Il ne faut jamais analyser les projets structurels de manière conjoncturelle. La récession nest pas là pour 50 ans; le Statut avancé lest ! Un travail remarquable a été fait dans le cadre de ce statut; cest un véritable avantage pour notre pays. Alors, il ne faut pas sautoflageller, mais bien reconnaître les choses quand elles sont faites correctement. Ce statut est donc un excellent point pour nous. Sur le volet export, vers lUE, il faut analyser très précisément la situation de nos partenaires, leur état de santé, leurs besoins et leurs besoins futurs. Si, par le passé, nous avions pris des décennies pour cerner les besoins de ces pays de manière intuitive au fil du temps, aujourdhui, nous savons que ces pays vont changer leur consommation, leur type de partenariat Pour sen sortir intelligemment (et nous allons nous en sortir, de toute façon), il faudra se doter des moyens pour étudier ces pays et anticiper sur leurs besoins. La crise est une réelle opportunité pour ceux qui travaillent ! Je suis convaincu que notre pays dispose dune panoplie datouts non encore exploités.