Le Maroc est appelé à suivre toutes les évolutions, à s'adapter et à analyser le redéploiement de l'économie dans la globalisation. Comment revigorer la demande dans un contexte de croissance molle, de chômage et de baisse des salaires ? La réponse intègre est la redistribution des richesses et l'augmentation des revenus réels. L'Europe serait la victime collatérale de l'affrontement Chine-Etats-Unis sur les taux de change, comme l'explique Nezha Lahrichi, PDG de la Société Marocaine d'Assurance à l'Exportation. - Finances News Hebdo : Lors de votre intervention au Forum de Paris, vous avez expliqué que l'avenir ne se prévoit pas mais se prépare. Dans ce sens, comment le Maroc doit-il préparer la prochaine décennie face à une économie mondiale plus globalisée et très changeante ? - Nezha Lahrichi : Ma réflexion se situe surtout par rapport à la situation de notre principal partenaire, c'est-à-dire l'Europe dont l'avenir est incertain et reste tributaire de l'approfondissement de la construction de la zone Euro ; celle-ci est une construction politique et non économique puisqu'il y a une monnaie sans Etat et une politique monétaire commune sans politiques budgétaires coordonnées, ce qui met à mal une action européenne efficace et crédible aux yeux des marchés. Or, ce qu'on appelle fédéralisme budgétaire n'est pas pour demain, parce qu'il touche à la souveraineté de chaque pays en matière de décisions de politiques économiques. La preuve en est la contestation du «Pacte de compétitivité» présenté le 4 février par Berlin et qui se propose d'être un véritable gouvernement économique : comment persuader l'Irlande de renoncer à son bas taux de l'impôt sur les sociétés qui a fait le succès des investissements directs qu'elle a drainés, ou encore persuader la France de renoncer à son SMIC, etc.… Il faut ajouter à la situation européenne le positionnement de la Chine comme puissance mondiale qui est sortie des BRIC, et surtout sa politique régionale d'intégration économique, les craquements de la mondialisation, les perspectives d'une Afrique qui présente autant d'opportunités que de risques, la situation en Egypte, en Tunisie qui démontre que le pouvoir est devenu diffus dans le nouvel âge de l'information ; il faut donc suivre ces évolutions, s'adapter et analyser le redéploiement de l'économie dans la globalisation. - F. N. H. : Vous avez également évoqué le fait que la Chine a bien tiré son épingle du jeu tout en s'accrochant à son modèle non-capitaliste. Serait-ce là un appel à tempérer ceux qui prônent l'accélération de l'ouverture de notre économie et de notre système financier à l'international ? - N. L. : Il n y a pas que la Chine, il y a aussi la Corée du Sud, Taiwan… Ces pays ont montré qu'il est possible de ne pas céder à la mode des théories économiques et qu'il ne faut pas croire à leur universalité. Il y a, d'un côté, le consensus de Washington dont le socle repose sur la déréglementation, la libéralisation, l'équilibre budgétaire, les droits de propriété etc.…, de l'autre, des politiques économiques où le succès ne s'est pas appuyé sur ces préceptes. Cela signifie qu'on peut faire autrement et que les chemins de la croissance sont multiples. - F. N. H. : Le financement de l'investissement par le crédit est l'une des raisons sous-jacentes à la crise financière. La leçon tirée, comment peut-on revigorer l'épargne dans un contexte aussi mou, pour la rétablir dans son rôle d'instrument de financement de l'investissement ? - N. L. : C'est le financement de la consommation par le crédit qui a posé problème. La crise a remis en cause le modèle de croissance dans lequel la réponse à l'augmentation des inégalités a été apportée par le crédit. Il est établi que dans les pays avancés les revenus réels, les salaires médians, ont stagné. L'impact négatif de cette stagnation sur la demande globale a été compensé par une politique monétaire laxiste et le financement de la consommation par le crédit. Bien plus, la crise a incité les entreprises à faire des salaires leur variable d'ajustement pour préserver leur profit. D'où la question centrale : comment revigorer la demande dans un contexte de croissance molle, de chômage et de baisse des salaires ? La réponse intègre, de toute évidence, la redistribution des richesses et l'augmentation des revenus réels. - F. N. H. : Le Maroc adopte un régime de change fixe qui lui a permis d'avoir une certaine stabilité, cela n'empêche qu'il perd de sa monnaie en matière de compétitivité. Ne pensez-vous pas que le Royaume est appelé à adopter un taux de change plus flexible, d'autant plus que cette décennie serait marquée par une guerre des monnaies ? - N. L. : La taille et la croissance du commerce mondial reculent ; pour soutenir leur sortie de crise, plusieurs pays sont tentés de gagner des parts de marché en sous-évaluant leur monnaie, ce qui comporte des risques protectionnistes car la manipulation du taux de change est une arme de guerre commerciale. Au-delà de la politique de change qui peut être active pour une action à court terme, la doctrine sur le taux de change n'est pas dissociée des choix de politiques économiques. Dans un modèle économique où la demande intérieure est le premier moteur de la croissance, il est possible de considérer que la stabilité de la valeur de la monnaie, ou même son appréciation, est favorable compte tenu, notamment, de l'effet modérateur sur le prix des importations. En revanche, si les exportations sont considérées comme la principale locomotive de l'économie, la compétitivité à l'export sera plus centrale et le taux de change aussi. Au Maroc, il faut analyser la situation à l'aune de plusieurs paramètres dont les exportations de biens (19% du PIB) et les importations de biens (38,5% du PIB) en 2010. Si on prend en considération les échanges de services, les ratios seraient de 43,7% pour les importations et de 32,5% pour les exportations. En outre, la guerre des taux de change est, effectivement, devant nous. C'est la guerre Dollar/ Yuan. L'Europe serait la victime collatérale de l'affrontement Chine-Etats-Unis sur les taux de change : l'appréciation du Yuan se traduisant par une dépréciation du Dollar contre les autres monnaies, dont l'Euro, à cause du poids du Dollar dans la facturation du commerce mondial. Ce qui n'est pas en faveur des exportations européennes ! Dossier réalisé par S. Es-Siari & I. Bouhrara