Le Parti de la justice et du développement (PJD) ouvre ce samedi à Bouznika les travaux de son 9e congrès national, dans un contexte inédit à bien des égards. Près de 1 700 congressistes sont réunis pour deux jours d'échanges, de délibérations et d'élections internes, dans un climat mêlant incertitude politique, pression financière et quête de repositionnement sur l'échiquier national. Le congrès, qui intervient trois ans après la débâcle électorale de 2021, marque une étape cruciale pour le principal parti d'inspiration islamiste du Maroc. Depuis sa chute brutale de 125 à 13 sièges à la Chambre des représentants, le PJD traverse une période de profonde remise en question. À cela s'ajoute un retrait progressif de ses figures les plus marquantes, souvent qualifiées de « faucons », et un appauvrissement de son socle militant. Ressources limitées Fait marquant : l'organisation de ce congrès a été rendue possible grâce à une mobilisation interne exceptionnelle, le parti ayant dû compter presque exclusivement sur les contributions volontaires de ses membres et sympathisants. Estimé à environ 3 millions de dirhams, le budget du congrès a été réuni à travers une campagne de solidarité, après que les voies de financement institutionnel classiques se sont avérées inaccessibles cette année. Cet appel à la cotisation, lancé directement par le secrétaire général Abdelilah Benkirane, a eu une portée autant financière que symbolique : il s'agissait de remobiliser une base militante fragilisée par les revers politiques et les fractures internes. Des tensions ont émergé autour du non-paiement des cotisations par certains anciens ministres ou députés, creusant le déficit du parti estimé à plus de 200 000 dirhams. Cette situation a cristallisé un débat plus large sur la loyauté, la responsabilité et l'avenir du projet politique porté par le parti. « La guerre à Gaza a permis aux mouvements de l'islam politique de reprendre leur souffle » Le professeur de droit public à la faculté des sciences juridiques et politiques de l'Université Ibn Tofail, Azzeddine Hannoun, estime que « le Congrès du PJD, prévu ce week-end, s'inscrit dans un contexte politique lourd de symboles et de remises en question profondes. Depuis sa défaite historique aux élections législatives de 2021, où il a perdu la grande majorité de ses sièges après dix ans à la tête du gouvernement, le PJD est confronté à une crise identitaire majeure. La manière dont il a géré cette débâcle révèle à la fois une volonté de résilience et une difficulté à se réinventer dans un paysage politique et un contexte international et régional qui ne lui est plus aussi favorable ». Il souligne également dans une analyse livrée à Hespress FR que « dans cette dynamique, Abdelilah Benkirane reste une figure tutélaire incontournable. Leader charismatique et personnage central du parti durant ces deux dernières décennies, son retour à la tête du PJD après la défaite électorale illustre à la fois l'absence de véritable relève et l'attachement d'une large partie des militants à ses méthodes et à sa vision politique. Son retour a également illustré une volonté de revanche dans la mesure où on a présenté Benkirane comme persona non grata dans les cercles du pouvoir politique tout en allant pas jusqu'à un point de rupture. Benkirane permettra une lignée en apparence dure sans rompre les contacts avec l'Etat. En effet, à la suite de la défaite de 2021, le parti avait pour volonté de reprendre une certaine popularité tout en restant inscrit dans le cadre des grands équilibres politiques existants ». Et d'ajouter : « aujourd'hui, la question du renouveau générationnel se pose aujourd'hui avec une acuité particulière : comment insuffler une nouvelle énergie sans trahir l'ADN historique du parti ni perdre son ancrage populaire ? » Le professeur poursuit : « à cela s'ajoute une problématique politique plus large : l'adaptation de la ligne du PJD face aux réalités du rapport à l'État. Entre maintien d'une posture critique et recherche d'une intégration plus apaisée dans le système institutionnel, le parti semble tiraillé. Ce dilemme structurel est d'autant plus pressant que l'Islam politique, dont le PJD est un des représentants les plus emblématiques au Maroc, est en net recul à l'échelle régionale. Le défi pour le Congrès sera donc double : repenser son projet politique dans un contexte national en mutation et répondre au déclin global de l'Islam politique sans perdre son socle idéologique ». Selon lui, « certes, la guerre à Gaza a permis aux mouvements de l'islam politique de reprendre leurs souffles et de renouer avec la rue, néanmoins, la roue de l'histoire avance globalement dans un sens de la sécularisation qui pourrait mettre à mal le fond idéologique de ces mouvements ». Et de conclure : « le Congrès apparaît ainsi comme un moment charnière : il devra définir une stratégie claire pour le futur, à la croisée des chemins entre repositionnement interne et adaptation aux nouvelles dynamiques politiques nationales et internationales ». L'ombre de Benkirane, la question du renouveau Au centre de toutes les attentions : la direction du parti post-congrès. Bien que Benkirane n'ait pas clairement annoncé son intention de briguer un nouveau mandat, sa présence omniprésente dans le discours et les dynamiques internes laisse peu de doute sur son influence. Une éventuelle reconduction de l'ancien chef du gouvernement interroge sur la capacité du PJD à se renouveler et à ouvrir la voie à une nouvelle génération de cadres. Certains courants internes appellent à un tournant générationnel, estimant que la relance du parti passe par un leadership plus en phase avec les attentes actuelles de l'électorat, mais aussi avec la transformation du champ politique marocain. D'autres plaident pour la continuité, jugeant que Benkirane demeure, malgré tout, l'un des rares à pouvoir maintenir une cohésion interne et préserver une visibilité médiatique. Le parti d'après, les échéances de 2026 en ligne de mire Au-delà des débats sur les statuts et les postes, ce 9e congrès est une opportunité pour le PJD de redéfinir son positionnement politique. Les commissions thématiques se pencheront sur les orientations stratégiques, les alliances potentielles et le rôle du parti dans les grands débats nationaux : pouvoir d'achat, libertés, gouvernance locale, justice sociale... L'enjeu est clair : préparer les élections législatives de 2026, où le PJD espère amorcer une remontée, ou tout au moins enrayer sa marginalisation. Toutefois, même en cas de sursaut organisationnel et politique, le chemin de la reconquête s'annonce semé d'embûches. Le parti fait face à une concurrence électorale renforcée, à un électorat urbain plus volatil, et à une jeunesse souvent indifférente à son discours. Le secrétaire général sortant a récemment reconnu que près de 20 000 adhérents ont quitté les rangs du parti depuis 2021. La reconquête ne pourra donc passer que par une refondation crédible, un projet renouvelé et une stratégie capable de répondre aux réalités d'un Maroc en mutation. Une épreuve de vérité Ce congrès est perçu, y compris au sein du parti, comme un point de bascule. Capacité à surmonter les divisions, clarté du discours, légitimité de l'équipe dirigeante, mobilisation des territoires... autant de tests que le PJD devra réussir pour espérer renaître de ses cendres.