Un mois après les élections, il n'arrive toujours pas à digérer son résultat «mitigé». Abdelilah Benkirane et Mustapha Khalfi accusent le parti de fuir ses responsabilités. Image brouillée, couverture insuffisante du Rif, du sud et du monde rural, alliances contre-productives… les raisons abondent. Ça bouillonne au PJD. Le parti islamiste n'arrive pas à digérer le fait de s'être fait distancer par l'Istiqlal alors qu'il avait prévu de prendre une confortable avance sur l'ensemble des formations politiques. Un mois après les élections du 7 septembre dernier, on cherche toujours à savoir le comment du pourquoi, à déterminer où se situent les responsabilités, à chercher des coupables. Les militants ont beau contester la position officielle du parti qui attribue son classement aux tripatouillages électoraux, ils restent divisés quant à ses causes véritables. A la tête d'une fronde qui ne dit pas son nom, Abdelilah Benkirane, président du conseil national. Dans le quotidien Attajdid du 20 septembre dernier, il s'était livré à une critique sévère de la ligne politique du parti, l'accusant d'être responsable de son isolement politique. Récidivant dans les colonnes de l'hebdomadaire Al Watan Al An deux jours plus tard, il affirmait même que cette conduite avait empêché le PJD de participer au gouvernement de 2002 et même à celui de 1997. Parmi les autres explications possibles, Mustapha Ramid, membre du secrétariat général – et fraîchement élu à la tête du groupe parlementaire du parti – s'aligne sur la position officielle qui considère que le PJD a été victime de la corruption et de la neutralité négative de l'Administration. Une attitude peu en rapport avec le tempérament de l'homme turbulent du PJD ! Mais ce dernier prend soin de rappeler qu'il n'a jamais hésité à critiquer la gestion du secrétariat général, mais qu'il n'a pas de raisons de le faire à propos des législatives, même s'il reconnaît que le parti a commis quelques erreurs. Mustapha Khalfi, membre du Conseil national, lui emboîte le pas dans les colonnes de l'hebdomadaire Al Ayyam du 22 septembre, et propose, lui, une évaluation du nombre de sièges perdus et une analyse des raisons qui ont acculé le PJD à se retrouver dans l'opposition. Même en tenant compte des prétendues fraudes, les 70 sièges étaient un objectif trop élevé Le PJD serait-il en train de vivre les prémices d'une scission ? « Absolument pas. Nous sommes plus forts que jamais», s'emporte Lahcen Daoudi, vice-secrétaire général. Un niet catégorique partagé par le politologue et spécialiste des mouvements islamistes, Mohamed Darif : «C'est normal qu'il y ait des divergences, l'essentiel, c'est qu'elles ne touchent pas aux constantes du parti. Abdelilah Benkirane essaye de redynamiser et de relancer le débat», explique-t-il. Quelles sont les causes attribuées à la mauvaise performance du PJD ? Essentiellement un excès de confiance. A la veille des élections, les médias internationaux s'étaient intéressés presque exclusivement au parti, les sondages lui prévoyant une victoire éclatante. Prudent au départ, le PJD avait fini par y croire lui-même, attendant seulement d'entériner sa consécration en tant que «première force politique du Royaume avec au moins 70 sièges». Le réveil fut brutal, avec seulement 46 sièges, soit la deuxième place derrière le parti de l'Istiqlal (52 sièges). Un recul ? «Non, eu égard au système partisan, au mode de scrutin à la proportionnelle et au découpage électoral», tempère Mohamed Darif. Le PJD a quand même conforté sa position en passant de la troisième à la deuxième place et en gagnant même deux sièges par rapport à 2002. Discours édulcoré, démissions, le PJD est un parti comme les autres Malgré tout, les contestataires sont inconsolables. «Donner du crédit aux sondages et aux prévisions a certainement poussé des sympathisants à ne pas se rendre aux urnes le jour du vote, croyant la victoire assurée», regrette Mustapha Khalfi. Abdelaziz Rebbah, chef de la Jeunesse du parti, abonde dans le même sens : «Nous savions que l'argent allait être utilisé, que l'Administration n'était pas bien préparée mais, malgré cela, nous avons péché par excès de confiance. Il aurait fallu mobiliser toutes les sections du parti pour aider les citoyens à récupérer leurs cartes électorales. Et, surtout, il fallait couvrir tous les bureaux de vote», regrette-t-il. Autre grande erreur, selon Mustapha Khalfi : le parti a placé la barre trop haut en prédisant 70 sièges. «Les 70 sièges sont une estimation pré-électorale. Si on retirait de ce chiffre les 7 sièges de la liste locale et les 3 sièges de la liste nationale que nous avons perdus à cause des fraudes, le total est de 60 sièges, et même ce score, nous ne l'avons pas obtenu, pour des raisons inhérentes à la gestion de la campagne par le parti». Qu'est-ce qui a joué alors ? En fait, le PJD a tout simplement été victime du mythe de l'icône. En se plaçant dans le jeu électoral en tant que parti comme les autres, il a perdu de son aura. Les accréditations à la députation ont même été à l'origine d'une série de démissions qui ont fait tomber le mythe du parti discipliné, de même que le «parachutage», dans de nouvelles circonscriptions, de membres dirigeants en perte de popularité dans leurs fiefs d'origine. Dans d'autres cas, ce sont les alliances qui ont joué contre le parti. Ainsi en est-il, à Casa Anfa, de la défaite du président de Forces citoyennes (FC), Abderrahim Lahjouji, soutenu par le parti, face à Abdelbari Zemzmi, candidat du Parti de la renaissance et de la vertu (PRV). L'alliance avec FC, qui marquait un désir d'ouverture vers les autres partis et la volonté de rompre avec l'image d'un parti islamiste, s'est traduite par un discours plus lisse et consensuel qui, selon Mustapha Khalfi, a fait perdre des voix au PJD. Le parti a-t-il alors péché pour avoir abandonné son discours islamiste ? Peut-être. Mustapha Khalfi relève que l'aile radicale du parti, le Mouvement unicité et réforme (MUR), qui a les faveurs de l'électorat le plus orthodoxe, ne s'est pas mobilisé pendant les élections, pas plus qu'Attajdid, son journal officiel, n'a milité en faveur du parti. Un immobilisme que Mohamed Darif explique fort bien : «Après les attentats du 16 Mai 2003, le PJD a été appelé à se démarquer du MUR, association religieuse de prédication, et le Roi a insisté sur la nécessité de ne pas faire l'amalgame entre le religieux et le politique. C'est pour traduire cette volonté de l'Etat qu'Attajdid a pris une position qui ne traduit pas essentiellement celle du parti». Enfin, autre explication, celle de l'implantation. Dans le rural, le Rif et le sud, le parti d'Elotmani ne s'est classé premier nulle part. «Le PJD reste un phénomène urbain. A la campagne, nous avons des sympathisants, mais pas assez de sections. Il est clair que le renforcement du parti dans le rural est l'un des grands chantiers à ouvrir», avoue Abdelaziz Rebbah, rejoint dans cette analyse par Mohamed Darif qui estime que le PJD étant encore un parti jeune, il n'a pas encore eu le temps d'imposer ses figures dans la campagne, où l'on vote encore pour des notables.