Alors qu'il se présentait en position d'arbitre, dans plusieurs grandes villes, à l'issue des élections du 16 juin dernier, le PJD s'est retrouvé écarté des majorités municipales et a dû renoncer à ses ambitions dans la capitale. Un putsch qui ne passe pas. Le week-end du 20 juin a été fatal au Parti de la Justice et du Développement. Faut-il blâmer les premières chaleurs de l'été ? Jusque-là, les islamistes semblaient confiants en leurs chances de composer des alliances majoritaires dans plusieurs grandes villes, dont Tanger, Rabat et Casablanca. Le premier coup dur est venu de la capitale administrative, où Lahcen Daoudi a préféré se retirer au profit du candidat de son alliée l'USFP, l'ancien ministre des Finances. Mardi 23 juin, les jeux étaient faits. En grand perdant du jeu des alliances, le PJD n'avait d'autre choix que de camper la position de la victime. Certes, le parti était arrivé premier dans certaines villes. “Il ne faut pas se leurrer, précise le politologue Youssef Belal, les sièges obtenus par le PJD ne lui permettent pas de contribuer directement à la gestion des grandes villes”. Des alliances contrariées Tout l'enjeu pour les grandes villes, réside dans la composition des alliances, en raison de la dispersion des sièges. “Le PJD a du mal à peser lourdement sur la formation des majorités locales, dans une carte politique sensiblement orientée à droite autour du PAM”. Les islamistes ne sont pas en position de force, ce qui explique les différentes configurations locales auxquelles ils participent et qui ne répondent pas à une logique cohérente. À Rabat ou à Tétouan, le PJD n'hésite pas à s'allier à ses ennemis d'hier, les socialistes de l'USFP. Ou avec les anciens communistes du PPS à Errachidia. Les islamistes poussent le pragmatisme jusqu'à nouer une coalition avec le PAM à Marrakech. Commentaire d'un dirigeant du parti : “À Marrakech nous avons voté contre le maire sortant (Omar Jazouli), pas pour le PAM”. Nuance. Un comportement somme toute logique, estime le politologue Mohamed Darif. “Au niveau local les coalitions sont régies par une logique pragmatique, celle du nombre des sièges obtenus. Elles ne répondent donc à aucune considération d'ordre idéologique”, explique-t-il. Cette ouverture d'esprit n'a pas suffi au PJD pour assurer des alliances victorieuses. Dans la capitale économique, la majorité sortante que le parti de la lampe composait avec le maire (UC) Mohammed Sajid a fété finalement reconduite après une première tentative d'éjecter le PJD. Des “pressions” ont été exercées sur le maire sortant pour qu'il se rapproche de l'Istiqlal et du PAM. Ces partis ont réussi, avec l'appui de transfuges du RNI à forger une majorité alternative pour la mairie de Casablanca. C'est ce qui expliquerait, d'ailleurs, la montée au créneau, dimanche 21 juin, du secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane et du président du groupe parlementaire du parti Mustapha Ramid. Convoquant une conférence de presse, les deux ténors du PJD n'ont pas mâché leurs mots contre “le terrorisme” exercé contre leur parti, en allusion aux pressions du PAM. Décidés à ne pas se laisser faire, nos islamistes ont monté une véritable campagne de communication pour protester contre “un homme aux tendances éradicatrices”, un mot qui avait disparu du lexique islamiste pour décrire Fouad Ali El Himma. Dans un geste d'escalade, Benkirane en appelle même à une intervention royale. Victime du PAM “À première vue, le PJD n'a jamais été contre les alliances qui ont permis l'élections des maires des différentes grandes villes”, explique Mohamed Darif. “Ce qu'il dénonce, c'est l'utilisation des symboles de l'Etat, notamment le roi, comme moyen de persuasion pour peser sur le cours de ces alliances”. Les motifs de la rogne des islamistes ne sont pas seulement symboliques : “Ils ont ce sentiment d'avoir été écartés sciemment de la gestion des grandes villes”, soutient Youssef Belal. Et c'est surtout leur relégation à Casablanca qui a été la plus dure à digérer, explique pour sa part Mohamed Darif. “Il ont participé à la gestion de la ville depuis 2003, lancé avec le maire Mohamed Sajid de nombreux projets qui ne vont être concrétisés que vers 20011-2012. Il se sont rendus compte que d'autres formations, le PAM notamment, vont récolter tous les bénéfices de ces réalisations”. Le PJD est donc écarté de la gestion de l'affaire locale, donc loin des préoccupations immédiates de la population. Ce qui compromet sérieusement ses chances de percer lors des futures législatives de 2012. La montée en flèche du PJD (9 sièges lors des législatives de 1997, 42 en 2002 et 46 en 2007) risque d'être stoppée net. Une prouesse car, dans tout ce processus d'affaiblissement du parti islamiste, l'administration est restée neutre. “Le projet affiché depuis la création du PAM est d'affaiblir le PJD. C'est la justification même de son existence. L'on se souvient encore, en ce sens, des premières déclarations de Fouad Ali El Himma au lendemain de son élection en 2007”, commente Youssef Belal. Le PAM n'explique pas tout. Mais, “il y a d'autres facteurs à prendre en considération”, précise Mohamed Darif. “Lahcen Daoudi était parti pour remporter la mairie de Rabat. Mais il y a eu un veto. Il a dû se retirer de la course”. Le politologue avance une explication économique pour ce retrait de dernière minute : “L'Etat a voulu rassurer les investisseurs. Le fait d'écarter les islamistes de la gestion des grandes villes comme Rabat, Casablanca ou Tanger, est un message destiné à l'étranger”, soutient Mohamed Darif. En attendant, ce jeu risque de causer des dégâts collatéraux. “Il est clair, explique le politologue, que l'on veut écarter le PJD de la gestion locale de plusieurs villes. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une position stratégique payante à long terme”. Une guerre politique qui pourrait se retourner contre le PAM. Eté chaud, en perspective. Tahar Abou El Farah