En attendant les décrets d'application de la circulaire afférente à la procédure de l'accord préalable (APP), les prix de transfert suscitent des remous. Asma Charki, TAX partner au sein du cabinet Mazars & Associés, revient sur les critères de comparabilité qui fâchent, sans pour autant déconsidérer l'aspect sécurisant de l'APP pour les multinationales désireuses d'investir au Maroc. Finances News Hebdo : Contrairement à d'autres pays, au Maroc les prix de transfert font quasi-systématiquement l'objet d'un redressement fiscal des sociétés ou succursales membres de groupes multinationaux. Quels sont les enjeux sous-jacents à cette imposition ? Asma Charki : Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un apanage de l'administration fiscale marocaine uniquement. Aujourd'hui, au Maroc comme dans tous les autres pays, les administrations fiscales veillent à s'assurer que les résultats fiscaux déclarés par les filiales des multinationales correspondent aux activités économiques exercées sur leur territoire, dans des conditions financières dites normales respectant le principe cardinal de pleine concurrence. Et c'est dans le cadre de ce principe que l'administration fiscale s'accorde le droit d'apprécier les prix des transactions effectuées entre les entreprises liées et de corriger les résultats fiscaux (et/ou le chiffre d'affaires) si elle estime que ces prix ne répondent pas au principe de pleine concurrence. Il faut préciser que pour les besoins de cette rectification, l'administration fiscale procède à la correction des bénéfices soit par voie de comparaison avec ceux des entreprises similaires, soit par voie d'appréciation directe sur la base d'informations dont elle dispose. Dans la pratique, ce pouvoir d'appréciation reste très critiqué par les entreprises multinationales, et ce pour plusieurs raisons. La première émane du fait que les entreprises comparables retenues par l'administration fiscale pour le redressement du résultat fiscal ne sont pas partagées par la société redressée dans le cadre du contrôle fiscal. Ensuite, le critère de comparabilité reste un critère subjectif, surtout quand il s'agit de sociétés opérant dans des secteurs très spécifiques, voire même uniques. Enfin, et quand bien même les activités réalisées par les entreprises comparables se rapprochent, leurs transactions ne sont pas systématiquement identiques et, par conséquent, l'administration fiscale doit appliquer des ajustements suffisamment fiables afin de supprimer les effets matériels des éventuelles différences. F.N.H. : D'aucuns considèrent cette disposition comme étant ambiguë et pouvant impacter l'investissement étranger au Maroc. Êtes-vous du même avis ? Dans le même sens, la Loi de Finances 2015 a introduit la possibilité pour le contribuable d'engager avec l'Administration des impôts une procédure d'accord préalable (qui prend beaucoup de temps) sur les prix de transfert. Cet accord ou lourdeur administrative ne risque-t-il pas de dissuader davantage les investisseurs étrangers ? Quelle est votre appréciation ? A. Ch. : Au contraire, la procédure d'accord préalable est une procédure très sécurisante pour les entreprises multinationales puisqu'elle leur permet de se mettre d'accord avec l'administration fiscale sur la méthode de fixation des prix de transfert et des paramètres y afférents. Certes, la conclusion de l'accord reste contraignante et lourde en termes de documentation et de procédure d'instruction. Celle-ci prend jusqu'à 18 mois dans certains pays précurseurs, mais je ne pense pas qu'elle soit dissuasive pour les entreprises multinationales. C'est une option qui vient compléter la réglementation marocaine des prix de transfert sans revêtir aucun caractère obligatoire. Il faut préciser que bien que cette disposition soit introduite par La loi de Finances 2015, le décret d'application et la note circulaire y afférente ne sont toujours pas publiés par l'administration fiscale, ce qui retarde d'autant plus son application pour les entreprises désireuses de concrétiser cet APP. F.N.H. : En ce qui concerne l'accord préalable, est-ce que la concertation avec la DGI se fait d'un commun accord avec l'autorité fiscale du pays où est implantée la succursale ou se fait-elle d'une manière unilatérale ? A. Ch. : Tout dépend de la nature et la portée de l'accord préalable sur les prix. La concertation avec l'administration fiscale de l'autre entité liée (société-mère, filiale ou succursale) se fait dans le cadre d'un accord bilatéral ou encore multilatéral s'il met en relation plusieurs administrations fiscales, ce qui rend la procédure d'APP beaucoup plus longue et contraignante. Cependant, l'accord préalable visé par la LF 2015 est un accord unilatéral devant être conclu en principe entre la société établie au Maroc ayant des liens de dépendance avec des entités situées hors du Maroc et l'administration fiscale marocaine.