Le contrôle des prix de transfert au Maroc interpelle à bien des égards, vu les enjeux colossaux de recettes fiscales qu'il recèle. Faudrait-il aussi ajouter à cela, la position inconfortable de l'administration fiscale concernant la fixation des prix de transfert et la récrimination de certaines multinationales concernant l'illisibilité de la doctrine appliquée. «Je vous fais part de l'inquiétude grandissante des multinationales de mon pays installées au Maroc, concernant les redressements fiscaux provoqués par le rejet de leurs prix de transfert», clame l'ambassadeur de Suisse pour interpeller Mohamed El Ouafa, ministre des Affaires générales, lors d'une rencontre organisée à Rabat par la Fondation diplomatique en février dernier. Cette assertion n'est-elle pas le reflet de l'acuité de la problématique du contrôle fiscal des prix de transfert au Maroc ? Force est d'admettre que dans un monde de plus en plus globalisé, les échanges commerciaux et financiers intergroupes (entre société-mère et filiales) deviennent monnaie courante. A cela s'ajoute que les multinationales semblent plus enclines à comprimer leurs charges fiscales en transférant parfois leurs bénéfices à des sociétés situées hors du Maroc, avec lesquelles elles ont des liens de dépendance. Ce transfert se fait par la majoration ou la diminution des prix d'achat ou de vente. Interrogé par nos soins, le directeur du contrôle fiscal à la Direction générale des impôts (DGI), Omar Raissouni reste formel : «Chaque année au Maroc, les vérifications fiscales donnent lieu à des dossiers susceptibles de présenter une problématique au niveau de l'application des prix de transfert» (Voir entretien). En clair, certaines multinationales se livrent à ce qui s'apparente à la fraude fiscale en manipulant leurs prix de transfert. L'année dernière, le rejet des prix de transfert a particulièrement concerné les domaines pharmaceutique et agroalimentaire, d'autant plus que les firmes multinationales sont particulièrement actives dans ces filières au Maroc. Un casse-tête chinois Du côté de la DGI, on affirme que les dispositions législatives, notamment l'article 213 du Code général des impôts (CGI) permet de faire face à la dissimulation comptable se rapportant à un transfert indirect de bénéfices à l'étranger. En effet, cet article donne un pouvoir d'appréciation à l'administration pour la fixation des prix de transfert en cas de manipulation illégale. Il faut aussi reconnaître que le pouvoir discrétionnaire dont dispose l'administration la met dans une posture inconfortable lors des contrôles fiscaux, car celle-ci ne dispose pas toujours d'éléments de comparabilité pertinents pour fixer le juste prix de transfert ne pénalisant pas l'entreprise en question. Sachant que cette dernière évolue dans un environnement hyper concurrentiel. Partant, tout l'enjeu est de déterminer un prix conforme au sacro-saint principe de pleine concurrence. Cela dit, les enjeux de recettes fiscales inhérents aux prix de transfert demeurent colossaux au Maroc, exacerbés par un contexte de raréfaction de ressources budgétaires. A ce titre, le ministre des Affaires générales n'y est pas allé avec le dos de la cuillère devant le corps diplomatique accrédité à Rabat en leur signifiant le devoir de l'administration de lutter contre la fraude fiscale. En revanche, celui-ci avait tout de même rappelé que les multinationales ont moult voies de recours pour faire valoir leurs droits de contestation fiscale. Au demeurant, faudrait-il noter que la grande hantise des firmes est de voir leurs prix de transfert rejetés par le fisc. Cette crainte pourrait s'avérer légitime, si l'on sait qu'en cas de redressement, celles-ci ont souvent à s'acquitter de sommes conséquentes pour régler leur facture fiscale, à en croire la DGI, qui n'a pas communiqué de chiffres exacts sur le sujet. L'autre point constituant une épine dans le pied de l'administration fiscale est la difficulté de déterminer le caractère raisonnable des transferts au titre de l'assistance technique entre des entreprises ayant des liens de dépendance. Comment établir avec justesse que le recours à l'assistance technique est excessif et sans effectivité pour une entité ? Cette question peut constituer un point d'achoppement entre le fisc et certaines firmes. De plus, certaines multinationales pointent du doigt l'illisibilité de la doctrine appliquée en matière de contrôle fiscal des prix de transfert. Ce qui pousse certains observateurs à s'interroger sur la cohérence globale de la politique suivie en la matière. Au final, l'épineuse question du contrôle des prix de transfert au Maroc dévoile le tropisme de certaines multinationales à délocaliser la substance fiscale pour échapper à l'impôt. Le sujet lève aussi le voile sur les difficultés que rencontre l'administration lors du contrôle fiscal (fiabilité des données comparables, dissimulations comptables complexes, etc.). En dépit de toutes ces entraves, le directeur du contrôle fiscal rassure, car non seulement l'approche marocaine en la matière se veut pragmatique (dialogue avec l'entreprise), mais aussi la plupart des dossiers présentant des anomalies au niveau des prix de transfert se résolvent par des accords transactionnels.