Derrière la déclaration surprenante du ministre de l'Agriculture sur l'impact de la sécheresse sur la disponibilité du poisson, se cache une réalité scientifique bien établie. Des experts en pêche maritime, présents lors de la 7ème édition du Salon Halieutis à Agadir, expliquent comment le manque de précipitations affecte les écosystèmes marins, modifie la chaîne alimentaire et influence les stocks halieutiques. Décryptage. Face à la flambée des prix des produits alimentaires, l'opposition a interpellé le ministre de l'Agriculture, Ahmed El Bouari, lors d'une séance plénière à la Chambre des Représentants. Légumes, fruits, huile d'olive, œufs, viandes, poissons, volailles... La hausse généralisée des prix inquiète. Pour le ministre, la sécheresse est l'unique coupable, allant jusqu'à expliquer la rareté du poisson par le climat : «Lorsque la pluie manque, les poissons fuient». Une déclaration qui a immédiatement embrasé les réseaux sociaux, suscitant moqueries et incompréhensions. Mais derrière cette phrase, jugée absurde par certains, se cache une réalité scientifique que les spécialistes confirment. Si cette affirmation peut sembler surprenante à première vue, plusieurs spécialistes, dont Abdelkarim Foutat, président de la Confédération marocaine de la pêche côtière, présents lors de la 7ème édition du Salon Halieutis à Agadir, confirment qu'il existe bien une corrélation entre les conditions climatiques et la disponibilité des ressources halieutiques. Selon Abdelkarim Foutat, les précipitations jouent un rôle essentiel dans l'équilibre des écosystèmes côtiers et marins. Lorsque la pluie tombe sur le continent, elle entraîne avec elle des nutriments issus des sols et des matières organiques qui se déversent dans les fleuves et rivières, puis rejoignent l'océan. Ce phénomène, connu sous le nom d'apports terrigènes, stimule la croissance du phytoplancton, base de la chaîne alimentaire marine. D'après Abdelkarim Foutat, la pluie nourrit indirectement les poissons en favorisant le développement du phytoplancton, dont se nourrissent le zooplancton et les petits poissons, qui eux-mêmes alimentent les prédateurs marins plus grands. Lorsque ces apports en nutriments sont insuffisants en raison d'une sécheresse prolongée, la productivité biologique des zones côtières diminue, impactant l'ensemble de la chaîne alimentaire.
Impact de la sécheresse sur les courants marins et la migration des poissons Outre l'appauvrissement en nutriments, la sécheresse peut également affecter la salinité de l'eau, un facteur clé dans la répartition des espèces marines, explique Abdelkarim Foutat. En période de sécheresse, le débit des fleuves diminue, réduisant l'apport en eau douce dans les estuaires et les zones côtières. Cette modification de la salinité peut perturber les habitats de nombreuses espèces de poissons et provoquer des migrations vers des eaux plus favorables. Toujours selon Abdelkarim Foutat, certaines espèces, notamment celles vivant près des embouchures des fleuves (comme les sardines ou les anchois), sont particulièrement sensibles à ces variations. Si leur environnement devient moins propice, elles peuvent se déplacer vers d'autres zones ou voir leur reproduction affectée. Enfin, la sécheresse a également des conséquences indirectes sur le secteur de la pêche, affirme Abdelkarim Foutat. La raréfaction des ressources halieutiques entraîne une baisse des captures, augmentant ainsi les prix du poisson sur le marché. De plus, avec la hausse des températures marines induite par le manque de précipitations, certaines espèces tendent à migrer vers des eaux plus profondes ou plus froides, rendant leur capture plus difficile pour les pêcheurs côtiers. Ainsi, loin d'être une aberration, l'affirmation selon laquelle la sécheresse peut entraîner un manque de poisson repose sur des mécanismes écologiques bien documentés, soutient Abdelkarim Foutat. La pluie, en favorisant la productivité biologique des écosystèmes marins, joue un rôle fondamental dans la régulation des stocks halieutiques. Un dérèglement climatique marqué par des sécheresses prolongées peut donc déséquilibrer cette chaîne alimentaire et impacter directement la disponibilité du poisson sur les marchés.
Yassine ELALAMI Trois questions à Hassan Sentissi El Idrissi «Nous traversons une sécheresse qui affecte aussi bien la terre que nos ressources maritimes» * Comment la sécheresse affecte-t-elle le secteur halieutique ? Nous traversons une sécheresse qui touche non seulement la terre, mais aussi nos ressources maritimes. Cette situation a un impact direct sur la disponibilité des ressources halieutiques et perturbe l'équilibre de la filière. Cependant, nous gardons espoir : la nature est résiliente, et nous espérons voir nos stocks se reconstituer bientôt. La Fédération des Industries de Transformation et de Valorisation des Produits de la Pêche (FENIP), que je dirige, continue d'exporter vers 140 pays et représente 3% du PIB national. Plus de 4 millions de personnes, notamment dans le Sud du pays, dépendent de la pêche. Nous devons redoubler d'efforts pour surmonter cette crise et retrouver l'abondance qui a fait la réputation du Maroc sur la scène internationale.
* Qu'en est-t-il des sardines, produit prisé par les Marocains ? La sardine est une emblématique du Maroc, contribuant à sa renommée mondiale dans le secteur halieutique. Malheureusement, la sécheresse a perturbé les écosystèmes marins, réduisant les captures et affectant nos volumes d'exportation. Actuellement, les rendements ne sont pas à la hauteur de nos attentes, mais nous restons optimistes : la situation devrait s'améliorer avec le retour d'un climat plus favorable et une gestion durable des ressources.
* Quelles mesures recommandez-vous pour préserver les ressources halieutiques ? Il est essentiel d'adopter une pêche responsable et durable. Nous devons respecter strictement la réglementation pour éviter une surexploitation qui compromettrait l'avenir de nos stocks. Le Maroc ne peut se permettre un déséquilibre dans son secteur halieutique, qui est vital pour notre économie et notre société. Grâce à une gestion rigoureuse et à l'engagement des autorités, nous devons garantir la pérennité de notre patrimoine halieutique pour les générations futures. Recherche scientifique : Un levier essentiel pour la durabilité des ressources halieutiques La recherche scientifique joue un rôle central dans la préservation et le développement du secteur halieutique au Maroc. Avec un investissement de 1,55 milliard de dirhams, le pays a renforcé ses capacités pour mieux comprendre les écosystèmes marins et anticiper les défis environnementaux. Parmi les avancées majeures, l'Acquisition du navire océanographique Al Hassan Marrakchi pour 462 millions de dirhams, en plus de la mise en service de la vedette "Al Bahit" (19 Mdhs) et du bateau côtier "Ibn Sina 2" (34 Mdhs) permettant une analyse approfondie des écosystèmes marins et une meilleure évaluation des stocks halieutiques. Avec ce renforcement, la flotte de recherche compte actuellement cinq navires opérationnels. Le Maroc a également investi 240 MDH dans le développement de centres de recherche régionaux à Tanger, Amsa et Dakhla, dotés de laboratoires modernes et d'écloseries expérimentales. Enfin, un réseau de surveillance des écosystèmes marins a été mis en place, accompagné de 30 plans d'aménagement des pêcheries, garantissant une gestion durable des ressources. Innovation : Un pilier essentiel pour l'avenir du secteur halieutique L'innovation est devenue un pilier stratégique du développement du secteur halieutique marocain, permettant de concilier performance économique et préservation des ressources. Lors du Salon Halieutis, plusieurs avancées technologiques et initiatives innovantes ont été mises en avant. Parmi elles, l'Intelligence Artificielle (IA) révolutionne la gestion des stocks halieutiques en permettant un suivi en temps réel et une meilleure anticipation des impacts climatiques. Par ailleurs, de nouveaux engins de pêche intégrant des matériaux biodégradables sont développés afin de limiter la pollution marine. La valorisation des produits de la mer est également au cœur de cette dynamique. La Banque de Produits Innovants propose ainsi des modèles de projets destinés à accroître la valeur ajoutée des ressources halieutiques. L'aquaculture, quant à elle, bénéficie d'une diversification accrue et d'un renforcement de la durabilité, avec le soutien de 450 projets, dont 123 à caractère social. Ces initiatives visent à optimiser la production tout en respectant les écosystèmes marins. Enfin, les Trophées de l'Innovation récompensent les solutions les plus audacieuses en matière de transformation des produits de la mer, mettant en lumière les avancées qui façonnent l'avenir du secteur. Grâce à ces innovations, le Maroc se positionne comme un acteur majeur de la pêche durable et de l'aquaculture responsable. Salon «Halieutis» 2025 : Un carrefour international pour l'économie bleue La 7ème édition du Salon «Halieutis» s'étend sur 20.000 m2, dont 18.000 m2 dédiés aux espaces d'exposition, offrant une vitrine unique aux innovations et aux avancées du secteur halieutique. Cet événement d'envergure réunit 523 exposants issus de 54 pays, mettant en avant une diversité d'expertises et de bonnes pratiques dans le domaine halieutique. Avec plus de 50.000 visiteurs attendus, le Salon «Halieutis» attire un large public : professionnels de la pêche et de l'aquaculture, chercheurs en biologie marine, institutions publiques et grand public. L'édition 2025 met particulièrement l'accent sur le renforcement des échanges entre acteurs nationaux et internationaux, la promotion des innovations technologiques et des modèles économiques durables, et la consolidation du positionnement du Maroc comme leader en économie bleue. À travers conférences, expositions et rencontres B2B, le Salon ambitionne de renforcer le rôle du Maroc en tant que hub halieutique régional et acteur majeur de l'innovation maritime.