Avec la saturation et la rude concurrence sur leur marché naturel, les grands opérateurs mondiaux de téléphonie ont fait de l'Afrique leur nouveau terrain de jeu pour racheter des opérateurs historiques ou décrocher de nouvelles licences. Car c'est là que résident les relais de croissance. Anticipant également sur la pleine maturité du marché national, Maroc Telecom se frotte avec succès à ces géants mondiaux, remportant des appels d'offres. Le secret de l'opérateur marocain ? Quand le Falcon 900 transportant Abdeslam Ahizoune, PDG de Maroc Telecom et tous les membres du directoire de l'entreprise, s'est posé sur l'aéroport international de Ouagadougou, le 28 décembre 2006 aux environs de 16 heures, les jeux étaient loin d'être gagnés par l'opérateur marocain dans la course à la reprise de l'opérateur historique des télécommunications du Burkina Faso, même si trois semaines auparavant, cinq des sept prétendants à la reprise avaient été recalés. Il ne restait alors que Maroc Telecom et France Télécom, tous deux qualifiés pour poursuivre les négociations avec l'Etat du Burkina Faso, conseillé au plus haut niveau par un consortium formé de Rothschild & Cie (France), du cabinet d'avocats Landwell & Associés, ainsi que de la Banque internationale du Burkina (BIB). Dans son offre, l'opérateur français présentait une valorisation fortement en deçà de celle de Maroc Telecom, 75 millions d'euros séparant les deux candidats. Ainsi, tout au long de la période séparant la date d'ouverture des plis de celle de l'adjudication finale, soit le lendemain de l'arrivée de la délégation marocaine, France Telecom a cherché à combler son retard. Une ultime offre financière équivalente à celle de Maroc Telecom (220 millions d'euros) aurait été officieusement présentée aux autorités du Burkina Faso. Devenu le nouveau terrain de jeu des grands opérateurs mondiaux du secteur des télécommunications, le continent noir fait rêver les opérateurs de téléphonie et par ricochet, tous les coups sont permis. Les marchés de ces pays ne sont pas encore très développés et leur contribution aux résultats sera, pour quelques années encore, assez limitée. Mais c'est là que réside le potentiel de croissance à moyen terme, lorsque des pays comme le Maroc auront atteint leur pleine maturité. Pour leur part, les opérateurs téléphoniques européens, qui semblent avoir mangé leur pain blanc, sont convaincus qu'avec déjà plus de 3 milliards d'abonnés au mobile sur la planète, l'essentiel de la croissance des opérateurs vient désormais l'Afrique. Résultat des courses : les convoitises sont si aiguisées que même des petits pays pauvres comme la Guinée (10 millions d'habitants) comptent quatre opérateurs, et que les tickets d'entrée atteignent des prix spéculatifs, comme la troisième licence au Sénégal (12 millions d'habitants) emportée à 200 millions de dollars ! Au début pourtant, seuls les Sud-africains et les Moyen-orientaux ont osé y investir, comme l'opérateur sud-africain MTN, implanté dans 18 pays, l'Email Etisalat Moov (10 pays), Celtel (16 pays), fondé par l'Ougandais «Mo» Ibrahim (qui avait alors eu du mal à convaincre les banques), puis vendu au Koweïtien Zaïn. Aujourd'hui, tous ces ingrédients réunis font que l'issue d'un appel d'offres pour la privatisation d'un opérateur historique ou encore d'une quelconque licence de téléphonie sur le continent est incertaine jusqu'au bout. Des syndicats qui tentent de faire monter les enchères, une certaine presse qui se plaît à entretenir la polémique autour de tout projet de privatisation ou de concession, le patriotisme économique, un haut responsable qui veut sa part du gâteau…, sont également des facteurs qui laissent la porte ouverte à tout retournement de situation à la dernière minute, avant l'adjudication définitive dans ce type de dossiers. Il faut dire que du coté des candidats à la reprise d'opérateurs africains ou de nouvelles licences, outre un dossier technique le plus solide possible, l'offre financière, les projets d'investissement…, l'on n'hésite pas à s'appuyer sur des réseaux ou à mettre tout simplement à contribution la diplomatie de son pays. Pour autant, depuis 2001, Maroc Telecom multiplie les rachats d'opérateurs historiques de téléphonie en Afrique. Comment s'y prend-il dans ce «bourbier» africain pour surclasser les grandes multinationales ? Comment négocie-t-il? Jusque-là, le premier opérateur national n'a jeté son dévolu que sur des opérateurs historiques présents dans le fixe, le mobile et l'Internet, avec lesquels il partage en quelque sorte la même culture d'entreprise. L'approche de Maroc Telecom consiste à s'inscrire dans les processus d'appels d'offres lorsque l'environnement d'investissement s'avère propice. Toujours est-il que l'un des premiers critères qui a guidé jusque-là les pas de l'opérateur historique marocain sur le continent est la proximité géographique, culturelle et sociale. Mauritanie : la carte des privés locaux C'est dans ce contexte qu'il a acquis en 2001 les 54 % du capital de Mauritel SA, pour un montant dépassant les 48 millions de dollars, suite à un appel d'offres international lancé par le gouvernement mauritanien. Vivendi, qui venait à l'époque de prendre 35 % dans le capital de l'opérateur marocain, se retire de l'appel d'offres lancé par les Mauritaniens pour laisser son nouveau partenaire en découdre avec Portugal Telecom. Pour ce faire, Maroc Telecom aura mis les moyens. Selon l'autorité de régulation mauritanienne, Maroc Telecom aurait fait une proposition quatre fois supérieure à celle des Portugais, qui n'auraient avancé que 12 millions de dollars. L'intervention de Vivendi ayant permis de valoriser l'opérateur historique national à six milliards de dollars, celle-ci a pu également préserver les 3% appartenant aux salariés de Mauritel. Au-delà, les négociations n'ont pas été faciles, car les grands groupes privés mauritaniens voulaient être de la partie. Un deal est trouvé entre l'Etat mauritanien et ces derniers. Il fut alors prévu dès le départ la constitution d'un consortium entre Maroc Telecom et ces groupes privés. Ainsi, une année après avoir acquis l'opérateur historique mauritanien, Maroc Telecom cède 20% de sa participation à trois groupes privés mauritaniens. Aux termes d'un accord, l'opérateur marocain crée avec ses nouveaux partenaires un holding dénommé la compagnie mauritanienne de communication S.A (CMC-S.A.), dans lequel il détient 80 % du capital, le groupe privé Abdallahi Ould Noueigued (AON) 17%, alors que les investisseurs Limame Ould Ouleida et Brahim Ould Ahmed Lama ont 1,5% chacun. Depuis, la CMC-S.A. s'est substituée à Maroc Telecom en Mauritanie et est devenue actionnaire de Mauritel S.A à hauteur de 54 %. Fort de son expérience réussie avec l'opérateur historique de la Mauritanie, Maroc Telecom est parti à la conquête de l'Afrique subsaharienne, qui s'est imposée dès le départ comme une suite logique aux succès engrangés au Maroc. Bukina Faso : le grand jeu C'est dans ce contexte qu'il prit en décembre 2006 des participations majoritaires dans l'Onatel, l'opérateur historique du Burkina Faso. Les négociateurs marocains, qui ont débarqué dans la capitale burkinabée, ont du sortir le grand jeu pour écarter France Télécom. Encore faudrait-il qu'ils débloquent quelques points en suspens. En effet, le conseil des ministres burkinabé, qui était en réunion le jour où les Marocains sont arrivés, s'accrochait encore à certaines clauses. En particulier la clause de résiliation du contrat, «qui peut intervenir à tout moment» sur demande de l'Etat, selon la première mouture du cahier des charges. De même, les autorités voulaient s'assurer qu'il n'y aurait pas de programme massif de départs volontaires. L'Onatel compte 1.200 employés. Le personnel a finalement obtenu 6% du capital en sa faveur dans le schéma final retenu. Dernier point en négociation, l'établissement d'un pacte d'actionnaire, jugé superflu par l'Etat du Burkina Faso, en arguant des dispositions communautaires dans le cadre de l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). De l'autre côté, le pacte est jugé indispensable pour les négociateurs marocains conseillés pour l'occasion par la banque HSBC pour le volet financier et, pour le juridique, par les cabinets Aramis et Baadhio. Les négociateurs de Maroc Telecom obtiendront en fin de compte l'accord de principe pour une future fusion entre Onatel et Telmob, sa filiale mobile, détentrice de 40% d'un marché où l'on retrouve aussi Celtel (Zain) et Telecel (Emirats). Ce schéma diffère de celui de Mauritel où la séparation entre l'activité du fixe et du mobile rend les exercices bilanciels compliqués. Comme quoi, l'expérience mauritanienne a servi. Ces différents obstacles écartés, Maroc Telecom et le gouvernement burkinabé ont ainsi célébré en grande pompe leur alliance le 29 décembre 2006. Dans le détail, Maroc Telecom s'adjuge 51% de l'ensemble Onatel-Telmob pour 220 millions d'euros (2,2 milliards de dirhams). Pour le reste, la deuxième phase de la privatisation concernera l'octroi de 20% des actions à l'actionnariat public national ou sous-régional et 6% au personnel. Cette séquence a été lancée le 22 décembre 2008 et ce, jusqu'au 31 janvier 2009. L'opération a très vite pris les allures d'un évènement national. Pour la première fois, les Burkinabés ont une occasion d'investir sur la place de l'Afrique de l'Ouest, notamment la BRVM (Bourse Régionale des Valeurs Mobilières), en se procurant des actions dans le capital de l'Onatel. Et c'est la première fois qu'une entreprise burkinabée va être cotée sur cette place régionale. La même année, le gouvernement gabonais mettait 51 % du capital de son opérateur historique sur le marché. Outre France Telecom et le Portugais Portugal Télécom, que l'opérateur historique marocain trouvera encore sur son chemin, on note la candidature du Chinois ZTE, du Norvégien TeleNor, de l'Allemand DTCON et du Coréen Corea Telecom. Pourtant, il semble que sur cette bataille, Maroc Telecom n'ait pas eu beaucoup de mal à remporter le marché, si ce ne sont des résistances de la part de certains haut responsables qui craignaient de perdre leurs avantages une fois cette entreprise publique privatisée. Il n'empêche que le groupe marocain déboursera 61 millions d'euros pour reprendre Gabon Telecom. Mali : négociation serrée Comparé à l'appel d'offres lancé par les Gabonais, celui des Maliens semble le plus difficile. Ce n'est en tout cas pas Janie Letrot, directrice de la réglementation, de la communication et du développement international, membre du directoire de Maroc Telecom et l'un des négociateurs dans cette opération, qui dira le contraire. Pourtant, Maroc Telecom a misé gros sur ce marché : 252 millions d'euros, soit plus de 2,7 milliards de dirhams. C'est le plus gros investissement de Maroc Telecom à l'étranger à ce jour. Le premier opérateur marocain de télécommunication a vraiment cassé sa tirelire pour surclasser deux géants du secteur dans la course au rachat de 51 % de Sotelma (Société des télécommunications du Mali), l'opérateur historique malien : Sudatel (Soudan) et Portugal Telecom (Portugal). Le premier aurait proposé 111 millions d'euros et le second 80 millions d'euros. Pour autant, Maroc Telecom devait attendre que son offre soit acceptée définitivement (déclaré adjudicataire provisoire) par le gouvernement malien, même si aucun de ses concurrents ne le talonnait véritablement à l'issue de l'opération de dépouillement le 15 janvier dernier. Officiellement, les Maliens mettent en avant le fait que le dossier étant d'importance, ils se donnent le temps de l'examiner, d'autant qu'ils avaient juridiquement trois mois pour se déterminer sur l'offre en question. Des responsables de Sudatel, qui ont établi leur quartier général dans un grand hôtel de la capitale malienne, seraient en train de faire monter les enchères. Ils affirmeraient être prêts à casquer plus de 260 millions d'euros. Présents en Mauritanie et au Sénégal, les Soudanais de Sudatel tiennent coûte que coûte à accrocher le marché malien à leur arc, ce qui leur ferait un grand bassin de trois pays limitrophes. Depuis, l'Etat malien aurait exigé une rallonge à Maroc Telecom. En février dernier, une délégation de Maroc Telecom a ainsi séjourné à Bamako pour discuter avec les pouvoirs publics maliens. Pourtant, les responsables de Maroc Telecom ont commencé à mener très tôt un grand travail de séduction mettant en avant leurs atouts. Tout a commencé le 3 juillet 2008 à Paris quand, dans le cadre du processus de privatisation de la Sotelma, le gouvernement malien organisait la conférence des investisseurs. Objectif des Maliens : permettre le contact avec des partenaires stratégiques potentiels. Après l'ouverture des travaux de cette rencontre, Diarra Mariam Flantié Diallo, ministre malien de la Communication et des Nouvelles technologies, a successivement rencontré en privé Portugal Telecom et Maroc Telecom, Tunisie Telecom, Telecel Globe, Millicom. La délégation marocaine avait laissé une forte impression. Rappelons que dans cette course à la reprise de l'opérateur historique malien, pas moins d'une douzaine de soumissionnaires étaient préqualifiés. Quatre mois après la rencontre de Paris, Janie Letrot et Karim Regragui Mazili, directeur du développement à l'international de Maroc Telecom, mèneront un grand travail de séduction dans la capitale malienne. A la presse malienne, ils présenteront les atouts de Maroc Telecom. Quoi qu'il en soit, d'ici un peu moins d'un mois, le gouvernement malien devra déclarer Maroc Telecom adjudicataire définitif ou ajourner son appel d'offres, car l'offre de Maroc Telecom est valable trois mois.