Le secteur du tourisme est à l'agonie depuis plusieurs mois notamment à causes des restrictions imposées par les autorités dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus. Les frontières aériennes restent toujours fermées et le tourisme interne est également paralysé. Selon les professionnels, des dizaines d'hôtels, d'agences de voyage, d'agences de location de voitures vont fermer dans les prochains mois si rien n'est fait. Jalal Imani, expert du transport aérien et du secteur touristique, revient, point par point, sur la situation actuelle du secteur. Challenge : Le secteur du tourisme est à l'agonie depuis plusieurs mois à cause de la crise sanitaire notamment. Quelle lecture faites-vous de la situation près de 7 mois après le début de la pandémie dans le royaume ? Jalal Imani : Le secteur est quasiment dans un état de mort clinique. Les décisions du gouvernement, y compris la dernière qui consiste à donner des allocations de la CNSS jusqu'à la fin de l'année aux employés ayants droit, et y compris aussi le fait permettre aux étrangers de venir au Maroc sous certaines conditions sont tout à fait insuffisantes. Les contributions CNSS ne couvrent qu'une partie des nombreuses charges des entreprises concernée et n'incluent pas toutes les parties de l'écosystème touristique. Par ailleurs, la capacité offerte pour les vols spéciaux est faible par rapport à la capacité normale. En plus, ces vols s'opèrent uniquement de et vers Casablanca. Ce qui veut dire que les autres destinations touristiques telles que Tanger, Marrakech et autres ne sont pas desservies. Ces destinations n'ont donc aucune visibilité sur une quelconque reprise de l'activité. Malgré la situation sanitaire, le Maroc demeure attractif et il y a des touristes et des MRE qui veulent bien venir. La décision du gouvernement d'autoriser des professionnels étrangers concerne une cible corporate assez faible, parce qu'actuellement les entreprises misent beaucoup plus sur les visioconférences, le télétravail, etc. Donc, les voyages d'affaires sont très limités aujourd'hui. C'est vrai que cela est mieux que rien pour le secteur, mais il faut aller plus loin aujourd'hui si on veut sauver le tourisme. De son côté, le tourisme interne est aussi paralysé à cause des mesures prises par l'Exécutif ces derniers mois, notamment la fermeture de certaines villes. La petite reprise que les opérateurs entrevoyaient pour le mois d'août, parce que les Marocains voulaient voyager après trois mois de confinement, a été paralysée à cause de cette décision. C'est vrai qu'il y a un contrat-programme entre l'Etat et les opérateurs privés, mais il s'agit là d'une mesure à moyen terme, alors que le secteur a besoin actuellement d'une solution d'urgence. Il faut s'attendre à d'importantes fermetures d'hôtels et d'operateurs touristiques dans très peu de temps. Il y aura obligatoirement des faillites et du chômage. Lire aussi| Conseil de gouvernement: de nouvelles mesures exceptionnelles Challenge : Que fallait-il faire selon vous ? Jalal Imani : La seule mesure qui aurait dû être prise depuis le mois de juin ou juillet concerne l'ouverture des frontières aériennes. Pour sauver le tourisme, c'était prioritairement ce qu'il y avait à faire. Lorsqu'on prend l'évolution de la crise sanitaire dans les pays comme la France, l'Espagne et autres, qui avaient beaucoup plus de cas de contamination et de décès que le Maroc, et qui ont quand-même ouvert leurs frontières, on se demande bien pourquoi le Maroc n'en a pas fait autant. Ces pays ont décidé de privilégier l'économie et le social, et ils ont particulièrement cité la nécessité de sauver le tourisme. Ils ont fait ce choix pour des raisons économiques et sociales, tout en sachant que le nombre de contamination et de décès allait augmenter. J'estime pour ma part que c'était la bonne décision à prendre pour le Maroc aussi. Vous voyez, aujourd'hui nous avons plus de cas qu'auparavant, et on permet quand-même à certaines catégories d'étrangers de venir, alors on se demande simplement pourquoi avoir tout bloqué pendant qu'on avait 5 fois moins de cas. Quand on prend du recul, on se rend compte que le covid-19 est très peu létal si on prend le nombre de décès comparé au nombre de guéris depuis. Alors, de quoi parle-t-on ? Aujourd'hui, il est évident qu'il y aura plus de dégâts sur le plan économique et social que sur le plan sanitaire. Bien évidemment, c'est malheureux de constater les décès dûs au Covid-19, mais il faut aussi les comparer aux décès des autres maladies ou aux accidents de la route ou autres causes dont on parle peu. Le covid-19 est là pour durer apparemment, et nous allons devoir vivre avec. Il serait souhaitable de permettre à chacun d'essayer de reprendre au mieux son activité. La population en a besoin. Beaucoup de gens sont au chômage, ou dans l'informel et en souffrent financièrement. Lire aussi|Le groupe Ménara renforce son activité de distribution Challenge : Quelles sont les mesures urgentes que le gouvernement doit prendre pour sauver le secteur aujourd'hui ? Jalal Imani : La première de toutes les mesures urgentes serait l'ouverture des frontières sans plus attendre, même si aujourd'hui, il est évident qu'il est déjà un peu trop tard pour rattraper le coup. De toutes les façons, il y aura beaucoup d'hôtels, d'agences de voyage, d'agences de location de voiture qui vont fermer. Il faut que le tourisme soit une priorité nationale. Si le gouvernement veut sauver le tourisme, il faut qu'il mette les moyens nécessaires sur la table, et non prendre des mesures palliatives par intermittence. Ces mesures sont insuffisantes pour sauver les emplois et éviter les faillites dans le secteur touristique. L'ONMT doit d'ores et déjà lancer de grandes campagnes de promotion à l'international pour accompagner la reprise. Cela va générer une dynamique auprès des hôtels, qui vont progressivement reprendre confiance en l'avenir, parce qu'actuellement il n'y a ni visibilité, ni espoir quant à son avenir. Il nous faut maintenant une date pour l'ouverture des frontières aériennes. C'est urgent. Ensuite sur le plan fiscal, alléger les charges au maximum et prolonger pour une à deux années le remboursement des dettes car il faudra du temps pour se refaire une santé financière. La fiscalité dans ce secteur devra également être revue, allégée et simplifiée dans son ensemble pour le futur.