La coiffe des Palestiniens, le keffieh, emblème des guérilleros palestiniens, est le nouveau moyen utilisé par ceux qui cherchent à se donner bonne conscience par le biais d'une morale de peu d'envergure, destinée à anéantir toute réflexion. Retour sur un symbole vestimentaire qui sert simplement d'exutoire aux basses rancunes, aux viles convoitises, aux injures et aux délations les plus irrecevables. C'est l'esprit de l'époque : il faut se vêtir d'étoffes politiques pour satisfaire aux exigences du bon ton, puisque les zélés distributeurs de lainages et de cotonnades s'intéressent peu au fond des choses. Mi-2020, alors que la pandémie sévit, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a refusé que son pays, qui traverse une grave crise économique, contracte des prêts auprès du Fonds monétaire international (FMI) et des organismes financiers internationaux, sous prétexte que «l'endettement porte atteinte à la souveraineté nationale», au moment où la manne issue de la rente pétrolière, qui représente plus de 88% des recettes extérieures ainsi que les réserves de change, sont passées au rabais. Pour expliquer sa position, le chef d'Etat algérien, «un bouffon aux railleries lamentables» selon l'opposition à l'exil, a dit «préfère[r] emprunter auprès des Algériens que d'aller vers le FMI ou d'autres banques étrangères» car «lorsque nous empruntons auprès de banques étrangères, on ne peut parler ni de la Palestine ni du Sahara [occidental]», deux sujets que Alger exploite sans pudeur pour revenir sur le devant de la scène internationale. Or, qu'est-ce qui pousse un pays, frappé par un déficit budgétaire parmi les plus élevés de la région et qui croule sous une dette publique intérieure chronique, à conditionner ses grandes orientations économiques à deux dossiers étrangers ? Le Keffieh, cache-sexe des pires infamies Fascinante contradiction alors que l'Algérie, qui se présente comme partie non intéressée par le conflit du Sahara, appelle à des «négociations directes» entre le Maroc et le Front Polisario, jugeant «contre-productive» la reprise de tables rondes quadripartites la réunissant avec la Mauritanie, et rejetant toute solution «fondée exclusivement sur l'initiative marocaine d'autonomie, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale du royaume». Quant à la Palestine, l'Algérie, hormis quelques manœuvres menées en concertation avec Pretoria, elle brille par son absence, profitant de l'indifférence désordonnée du public local. Fin décembre 2023, une déclaration retentissante est passée presque inaperçue. Le corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI, organisation paramilitaire iranienne dépendant directement du Guide de la révolution, le chef de l'Etat), a déclaré (ce qui serait sans doute la vérité) que l'attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023 était pour venger le général Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des gardiens de la révolution islamique, assassiné début 2020 par Washington dans une opération ciblée en Iraq. Les attentats qui ont visé les établissements israéliens du pourtour de la bande de Gaza, menés par le Hamas et d'autres groupes armés palestiniens seraient-ils, en somme, une opération iranienne qui a coûté la destruction de Gaza et près de 40 000 morts ? Bénis ma keffieh ! Au Maroc, des étudiants ont été invectivés, d'autres ciblés et un doyen d'une grande université a été menacé de mort pour avoir exprimé des opinions différentes sur le conflit israélo-palestinien. Le keffieh, naguère emblème résiduel des luttes anti-impérialistes et symbole du tiers-mondisme militant, est devenu une malheureuse personnification d'un fonds de commerce avarié qui fait de l'intolérance identitaire sa béquille idéologique. Les perturbations politisées au sein de l'université Mohammed VI polytechnique (UM6P), sous l'égide de l'Office chérifien des phosphates (OCP), à la faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales (FGSES) à la faculté des lettres et des sciences humaines (FLSH) de l'université Mohammed V de Rabat, à la faculté des sciences Ben M'Sik de Casablanca, entre autres, démontrent que les vertus du droit à la différence s'estompent rapidement. Hassan Bennajah, membre du secrétariat général du département politique du mouvement islamiste radical Justice et Bienfaisance (Al Adl Wal Ihsane), n'éprouve aucune gêne à entonner les pires injures antisémites en arborant son keffieh, tandis que le Front marocain de soutien à la Palestine et contre la normalisation, regroupant des groupuscules de la gauche radicale et des mouvements islamistes, cible nommément les institutions marocaines. Promesses non tenues Fin 2021, Abdelmadjid Tebboune a annoncé l'octroi d'une aide de 100 millions de dollars à l'Autorité palestinienne, à l'occasion d'une visite à Alger du président Mahmoud Abbas. Le dirigeant palestinien n'a pas obtenu les fonds promis et Tebboune, qui voulait imposer, sans succès, la cause palestinienne au cœur du sommet arabe, n'agissait qu'en réaction de l'accord de coopération sécuritaire conclu, quelques jours auparavant, entre Rabat et Tel-Aviv. L'Algérie s'est même estimée visée par la visite à Rabat du ministre israélien Benny Gantz. Heureusement, ils n'ont pas à leur disposition d'autres instruments de torture que leur ridicule vêtu d'un keffieh, pour paraphraser l'autre.