La Banque centrale européenne va tenter jeudi de clarifier sa réponse au casse-tête qui associe inflation galopante et craintes d'une récession liée à l'Ukraine, facteur de tiraillements croissants entre les responsables de la politique monétaire. Face aux conséquences économiques incertaines de l'invasion russe, les gardiens de l'euro sont restés prudents lors de leur dernière réunion en mars. Jugeront-ils le contexte plus lisible lorsqu'ils se retrouveront jeudi à Francfort ? Les discussions devraient être houleuses entre les « faucons », partisans d'un resserrement monétaire rapide pour tenter de juguler la flambée de prix, et les « colombes », qui craignent qu'un retrait des soutiens plombe une croissance chancelante. La BCE est jusqu'à présent la plus attentiste des grandes banques centrales. Partout ailleurs, les taux d'intérêt ont commencé à augmenter. Annoncée de longue date, la première hausse de la banque centrale américaine (Fed), d'un quart de point de pourcentage (0,25%) en mars, sera suivie de plusieurs autres. Les taux de l'institution de Francfort campent toujours à un niveau historiquement bas. Taux relevés cet été ? Lors de sa dernière réunion, le Conseil des gouverneurs avait donné des gages aux « faucons » en décidant de réduire plus vite que prévu son intervention sur les marchés. Les rachats de dette — principal volet de sa politique monétaire ultra accommodante consistant à injecter des milliards d'euros dans l'économie — doivent cesser au troisième trimestre. Mais l'institution s'était gardée d'aller plus loin affirmant juste que la première hausse des taux interviendra « quelque temps après ». Depuis, l'inflation en zone euro a encore flambé, atteignant avec 7,5% en mars son plus haut depuis la création de la monnaie unique, très loin de l'objectif de 2% de la BCE à moyen terme. Les marchés financiers considèrent comme acquise une hausse des taux par la BCE dès cette année, avant d'autres en 2023. Si aucune décision majeure n'est attendue jeudi par les analystes, la conférence de presse de la présidente Christine Lagarde sera très suivie pour déceler tout indice d'un virage encore plus agressif sur l'inflation. « Nous pensons que (la BCE) va avancer ses plans pour relever les taux », estiment les analystes de Capital Economics, qui tablent sur une première hausse « dès juillet ». Goldman Sachs prévoit un premier pas en septembre. La Française pourrait être contrainte d'expliquer les décisions à distance, après avoir été testée positive au Covid-19 en fin de semaine. Pas de spirale La BCE récuse les critiques la taxant de laxisme face à l'inflation. L'un des membres du directoire, Fabio Panetta, a rappelé récemment que la flambée des prix, due en grande partie aux coûts élevés de l'énergie et aux problèmes d'approvisionnement, échappait largement au contrôle de la BCE et qu'une intervention trop rapide de l'institution serait risquée. « Demander à la seule politique monétaire de faire baisser l'inflation à court terme alors que les anticipations d'inflation restent bien ancrées serait extrêmement coûteux », affirme le responsable de la BCE. La danger serait de plomber davantage l'économie de la zone euro alors que « les taux de croissance trimestriels seront très faibles cette année » et pourraient même passer « en territoire négatif », a-t-il ajouté. La BCE continue de tabler sur un reflux de l'inflation, en 2024, autour de 2%. Elle ne constate pour l'instant aucun dérapage des salaires, qui provoquerait une spirale durable, même si au fil des mois elle n'a cessé de réviser à la hausse ses prévisions d'inflation. Mais le débat est vif parmi ses responsables. Le compte-rendu de la réunion de mars a montré que « le Conseil des gouverneurs est divisé » notamment sur la durée de la poussée de l'inflation, juge Frederik Ducrozet, analyste chez Pictet, selon lequel « les faucons ont l'avantage. » « A mon avis, le risque d'agir trop tard a augmenté », a déclaré fin mars un des tenants de l'orthodoxie monétaire, le président de la Banque fédérale allemande Joachim Nagel. Le Conseil des gouverneurs était en revanche unanime sur la nécessité de mesures de soutien supplémentaires de la part des gouvernements. Plusieurs pays dont la France, l'Allemagne ou l'Espagne ont déjà annoncé des aides aux ménages et aux entreprises, notamment pour alléger la facture énergétique.