Livrer des opposants algériens, reconditionner ses relations avec Rabat, investir en Algérie : le régime d'Abdelmadjid Tebboune aborde le problème des relations avec Paris avec l'idée d'un parti pris et surtout muni de préoccupations personnelles. Le tout avec la secrète ambition d'obtenir des succès politiques. Récit d'un chantage insensé. Le régime algérien s'est engagé dans la poursuite hasardeuse et désordonnée d'options nouvelles pour apaiser ses différends avec Paris. Alors qu'Emmanuel Macron a indiqué que la France reste elle-même scrupuleusement attachée à l'observation de ses propres engagements, l'Algérie a préparé une série de conditions pour renouer avec Paris, qui ont immédiatement soulevé les vives protestations dans les cercles de l'Elysée. Se désintéresser un peu du Maroc, faire extrader des éléments du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK), prendre des dispositions pour reconnaître le passé colonial : Pour la France, c'est hors de question. Le président français avait affirmé que «la construction de l'Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu'il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c'est la question (...)». Des déclarations qui ont particulièrement heurté le régime algérien. Pour le politologue franco-tunisien Naoufel Brahimi El Mili, qui s'est confié au Figaro avec d'autres intervenants, la crise est réelle cette fois. Pour lui, l'imbroglio à la tête du régime algérien rend les choses difficiles «On peut en avoir l'impression, mais la relation entre Alger et Paris a connu de nombreux orages (notamment celui entre les présidents Chirac et Zeroual à l'ONU en 1994), auxquels ont toujours succédé des éclaircies (par exemple la visite de François Hollande à Alger en 2012)» affirme Nordine Azzouz, directeur du quotidien Reporters, qui ajoute que la relation franco-algérienne «est depuis toujours saisonnière, liée aux aléas des humeurs personnelles des politiques ou de dossiers souvent méconnus du grand public et liés à la géopolitique du Maghreb (le Mali ou le Maroc, NDLR). En revanche, le début en Algérie du French bashing – discours ambiant visant à dénigrer la France – est datable : depuis l'intervention française en Libye en 2011, la France et ses relais – en particulier les entreprises et les ambassadeurs – sont la cible d'attaques médiatiques, de fake news sur les réseaux sociaux ou de messages hostiles dans les manifestations». Selon Naoufel Brahimi El Mili, depuis l'élection d'Abdelmadjid Tebboune, en décembre 2019, «la France a fait le maximum pour soutenir le chef de l'Etat algérien», mais que «malheureusement, toutes les promesses faites à l'époque n'ont pas été tenues». «Pire, non seulement l'Algérie n'a rien fait de tout ce à quoi elle s'était engagée, mais pendant ce temps, la petite musique insistante du French bashing a pris de l'ampleur», a-t-il souligné. «Concrètement, Paris attendait des réponses d'Alger sur une série d'affaires courantes (la reprise des immigrés clandestins, des facilités pour les visas professionnels, de l'accompagnement dans le développement des écoles et des instituts français et dans les projets de partenariats économiques). Or, aucun de ces dossiers n'a avancé alors que se sont greffés des désaccords sur des sujets ultrasensibles» selon le politologue franco-tunisien. «Il y a eu la rupture diplomatique avec le Maroc et le fait qu'Alger ne veuille pas reconduire le contrat sur le gazoduc Maghreb-Europe qui dessert le Maroc – privant ainsi les entreprises françaises installées au Maroc comme Renault de gaz, explique Naoufel Brahimi El Mili. Et puis il y a le Mali, où les Algériens assurent une coopération a minima parce qu'ils savaient que les Français allaient s'embourber. Aujourd'hui, Paris se retrouve dans une situation difficile avec le G5 Sahel : le Mali montre de plus grandes affinités avec les Russes ; le Tchad était un atout pour la France, mais maintenant que Déby est mort et que son fils est contesté, ce n'est plus le cas ; et le Niger, nouvellement dirigé par un président arabe, représente une fragilité.» Relations qui patinent. «L'Algérie demande par exemple depuis des années à son partenaire français qu'il investisse sur le marché algérien. Ce que les autorités algériennes ne comprennent pas, c'est que ces investissements sont le fait en grande partie de la décision de privés dans laquelle le politique n'intervient pas», souligne un spécialiste algérien de la relation bilatérale interrogé par Le Figaro. La question mémorielle ? «Il faut bien reconnaître qu'on ne comprend pas vraiment ce que veulent les Algériens. Ce n'est pas très lisible», commente un éditorialiste algérois. Ce dernier rappelle que pendant qu'Emmanuel Macron «demandait à Benjamin Stora, en juillet 2020, de formuler des recommandations pour réconcilier les peuples français et algérien, en Algérie, Abdelmadjid Tebboune désignait un représentant, Abdelmadjid Chikhi, pour travailler avec l'Etat français sur les dossiers liés à la mémoire. Résultat ? Depuis, Stora a fait un rapport alors que de notre côté il ne s'est absolument rien passé» constate le journaliste. «Si l'histoire n'est pas un enjeu, elle reste une redoutable allumette pour enflammer la relation bilatérale» écrit Le Figaro. Pour Naoufel Brahimi, «L'opacité du système politique algérien, notamment sa diplomatie, rend difficilement identifiables les hommes et les courants susceptibles d'influer sur la prise de décision.» Un spécialiste de la relation franco-algérienne cité par le journal français résume : «"On peut dire que les personnes hostiles à une l'entente franco-algérienne sont celles qui attendent de la France des décisions que Paris n'est pas en mesure d'assumer. Que la France revoit sa relation privilégiée avec Rabat car elles ne comprennent pas que la France reste aussi proche du Maroc" poursuit-il. Elles aimeraient aussi que les autorités leur livrent certains Algériens réfugiés en France, comme Hichem Aboud ou Amir DZ, dont l'audience sur les réseaux sociaux pose un vrai problème à Alger, ou des individus liés au Mouvement d'autonomie pour la Kabylie (MAK). Tout cela est bien sûr inenvisageable pour Paris, mais ces personnes ont les moyens de pourrir une relation déjà compliquée."» Selon Naoufel Brahimi El Mili, «aujourd'hui, la France a perdu ses relais en Algérie. Et la nouvelle équipe Tebboune et l'ancienne équipe de Gaïd Salah n'ont pas oublié que Macron a tenté de soutenir Bouteflika jusqu'au bout... «Les relations chaleureuses avec Bouteflika n'ayant rien donné, les Algériens sont donc mentalement disposés à se contenter d'une relation tiède avec la France», conclut Naoufel Brahimi El Mili.