À l'origine de la crise entre l'Algérie et la France : des propos tenus par Emmanuel Macron lors d'une rencontre, jeudi, avec de jeunes descendants de protagonistes de la guerre d'Algérie (1954-1962). D'autres faits explosifs ont été révélés par Le Figaro : l'Algérie a exigé de Paris les têtes du MAK, de se retirer du Sahel et de rester neutre sur le dossier algéro-marocain. Paris a haussé les épaules. En France, le régime algérien n'a pas vraiment d'amis. Si l'on ne songe pas à le froisser, on n'est pas non plus disposé à lui donner des preuves de sympathie. Un pouvoir qui s'inscrit en faux contre les mérites des institutions libres, et cette crise qui s'est éclatée n'est là que pour prouver surabondamment la fausseté générale de la situation entre les deux pays. Dans les relations avec l'Algérie, Paris pense que la sagesse consiste surtout à prévoir le mal du lendemain au milieu même du bien de la veille. Au cours de la discussion, selon un article du journal Le Monde qui n'a pas été démenti, «le président a appuyé sur deux points sensibles : la légitimité historique des tenants du pouvoir et la place de l'armée dans l'édifice algérien» écrit le Figaro dans son édition du 4 octobre. Il a notamment évoqué «un système politico-militaire qui s'est construit sur cette rente mémorielle (celle de la guerre contre la colonisation, NDLR)», dénonçant une «histoire officielle» selon lui «totalement réécrit(e) qui ne s'appuie pas sur des vérités» mais sur «un discours qui, il faut bien le dire, repose sur une haine de la France». Il a ensuite fait part de son analyse sur le système algérien selon lui «fatigué». «Le Hirak (mouvement populaire ayant conduit à la démission de Bouteflika) l'a fragilisé. J'ai un bon dialogue avec le président Tebboune, mais je vois qu'il est pris dans un système qui est très dur.» La réponse, de l'autre côté de la Méditerranée, ne s'est pas fait attendre : l'Algérie a rappelé son ambassadeur Mohammed Antar Daoud en condamnant des «propos irresponsables» et en exprimant son «rejet de toute ingérence dans ses affaires intérieures». «Elle a aussi interdit le survol de son territoire aux avions militaires français qui empruntaient son espace aérien pour rejoindre le nord du Mali dans le cadre de l'opération Barkhane, une faveur accordée il y a quelques années par le président déchu Bouteflika. L'onde de choc a fait réagir la classe politique» raconte le quotidien français. Pour Abderrezak Makri, leader du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), les propos de Macron, un «président qui ignore l'histoire, arrogant, qui humilie le président algérien et rentre dans une confrontation inédite avec l'ensemble du système politique», constituent une «déclaration de guerre contre l'Etat et le peuple algériens». «Il est regrettable que les déclarations non démenties d'une autorité française de ce niveau adoptent sur l'Algérie un discours adapté à chaque échéance électorale, faisant de notre pays un sujet de débat récurrent pour devenir un problème de politique interne», déplore de son côté l'ex-ministre et ambassadeur Abdelaziz Rahabi. Pendant ce temps, sur Twitter, le hashtag #ChasserL'AmbassadeurDeFranceEstUneDemandePopulaire devient viral. «François Gouyette, en poste depuis un an, a justement été convoqué par le ministère algérien des Affaires étrangères pour s'expliquer sur la décision de Paris, annoncée fin septembre, de durcir les conditions d'obtention des visas aux Algériens. Une mesure de rétorsion face au refus des autorités algériennes de rapatrier les immigrés en situation irrégulière refoulés de France» note Le Figaro. Pour le journal français, «le climat entre Paris et Alger ne cesse de se dégrader depuis le printemps.» «Il y avait trop d'hypocrisie des deux côtés, murmure-ton dans les cercles proches du pouvoir algérien. Il fallait percer l'abcès.» Ce que dit aussi le quotidien Liberté dans son édito : «La crise n'est plus contenue dans les non-dits diplomatiques. Elle remonte à la surface et avec fracas.» Une autre source résume sous couvert d'anonymat : «Depuis deux ans, on voyait bien que Tebboune voulait la coopération avec la France mais qu'il y avait, y compris dans son camp, de très fortes résistances. Avec la restriction des visas et les propos de Macron, la situation n'était plus tenable, il ne pouvait plus maintenir l'équilibre. Le problème, c'est que déclarer la guerre au Maroc (Alger a annoncé fin août la rupture des relations diplomatiques avec Rabat) ou à la France ne fait pas de nous un Etat fort pour autant.» «En avril, la cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN, sorte de mini-sommet entre ministres des deux pays), qui devait se tenir à Alger avec notamment le premier ministre Jean Castex, a été, à la dernière minute, reportée à une date ultérieure. En raison de la pandémie, la délégation de ministres français avait été revue à la baisse, un motif de vexation pour les autorités algériennes, désolées que Matignon n'ait pas compris l'importance de l'événement» détaille Le Figaro. «Puis ce fut, cet été, un autre psychodrame : alors que des incendies ravageaient le nord de l'Algérie (un bilan officiel fait état d'au moins 60 morts), la France a envoyé deux Canadair. À Paris, où l'on rappelle le caractère spécial de l'effort – puisque les appareils étaient mobilisés en Grèce et dans le sud de la France alors en alerte face au risque d'incendies –, on s'étonne que celui-ci ait pu être décrit par les médias algériens publics comme "une location" passée "auprès de l'Union européenne"»...narre Le Figaro. «Fin septembre, la rencontre entre les ministres des Affaires étrangères Ramtane Lamamra et Jean-Yves Le Drian, à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, aurait, selon le quotidien arabophone el-Khabar, enterré tout espoir d'apaisement» «Lamamra a exigé que la France livre à l'Algérie les têtes du MAK (mouvement sécessionniste kabyle dont le leader, Ferhat Mehenni, vit en France). Il a aussi demandé à ce que Paris cesse d'allumer les feux de la discorde au Sahel et reste neutre sur le dossier algéro-marocain», énumère le journal cité par Le Figaro. Dimanche, une source confiait à un média local que l'Algérie prévoyait aussi de revoir ses relations économiques avec la France. «Depuis l'été, le contrat avec la RATP (qui exploitait le métro d'Alger) et Suez (qui gérait la société de distribution de l'eau et de l'assainissement d'Alger) n'ont pas été renouvelés, souligne un opérateur économique français. On voit bien que l'Algérie ne veut plus de la France, ce n'est pas vraiment nouveau», conclut Le Figaro.