Taille d'une délégation ministérielle française, bisbilles sur la question du Sahara, traumatismes du passé colonial, soutien au mouvement antirégime du Hirak, sont au cœur des tensions entre la France et l'Algérie. Paris, qui rejette littéralement le processus référendaire fondé sur l'autodétermination, soutient Rabat, et plaide sans cesse la cause marocaine au Conseil de Sécurité des Nations unies. Les médias algériens inféodés au régime ont alpagué Paris, après l'annulation à la demande d'Alger de la visite prévue ce week-end du Premier ministre français Jean Castex. «On est en droit de s'interroger sur le jeu trouble des autorités françaises», écrit l'éditorialiste du quotidien francophone El Watan sous le titre: «Graves hostilités françaises» . «Le report de la visite de Castex confirme la profondeur du fossé entre l'Algérie et la France : la rupture s'amplifie», renchérit le plus fort tirage arabophone, El Khabar. Le déplacement de Jean Castex, prévu dimanche 11 avril à l'occasion d'un comité intergouvernemental franco-algérien (CIHN), a été reporté sine die à la demande de la partie algérienne. Si Alger n'a fourni publiquement aucune explication, des sources concordantes françaises et algériennes ont attribué cette annulation surprise à la taille de la délégation ministérielle française –réduite à trois ou quatre membres du gouvernement en raison du «contexte sanitaire» — jugée insuffisante côté algérien. Lors du dernier CIHN à Paris en 2017, la délégation algérienne était composée de huit ministres, rappelle la presse. Autre pomme de discorde: la question épineuse du Sahara, qui oppose depuis des décennies le Maroc aux séparatistes Polisario. La République en Marche (LREM), le parti du président Emmanuel Macron, a annoncé jeudi la création d'un comité de soutien à Dakhla. Une ligne rouge pour Alger qui soutient les milices séparatistes et un processus référendaire fondé sur l'autodétermination. Le même jour, souligne El Watan, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a réitéré «le soutien de la France au plan d'autonomie marocain comme une base sérieuse et crédible» pour régler ce conflit, lors d'un entretien avec son homologue marocain Nasser Bourita. Une autre ligne rouge pour Alger. Dans un entretien accordé à El Khabar, Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) à Genève, assure qu'un «courant anti-algérien a voulu faire capoter la visite». La question du Sahara est «sensible» pour l'Algérie et la décision de LREM d'ouvrir un bureau à Dakhla est considérée comme «une provocation» de la France », insiste Hasni Abidi. Selon le chercheur algérien, «il y a un courant anti-algérien (au sein du parti présidentiel) qui veut maintenir la tension entre les deux pays». Le ministre algérien de la Communication Ammar Belhimer a réaffirmé de son côté que le soutien de l'Algérie au Polisario était «une position constante qui ne se soumettra à aucun chantage ni à aucune pression» . Le Quotidien d'Oran note par ailleurs que l'ambassadeur algérien n'a toujours pas présenté ses lettres de créances au président Macron «alors qu'il se trouve à Paris depuis huit mois». Le journal francophone oranais souligne aussi que la venue d' »une armada de journalistes« , à l'occasion du séjour que devait effectuer M. Castex, comportait le risque pour le pouvoir qu'ils puissent «mettre à profit sa visite pour se focaliser sur les militants du Hirak», le puissant mouvement populaire qui exige un changement de régime depuis deux ans. Les autorités algériennes cadenassent la couverture du pays par les médias étrangers par le biais de procédures d'accréditations bureaucratiques et opaques. Enfin, pour le Quotidien d'Oran, «le militaire prend le pas sur le politique» dans les relations franco-algériennes puisque Paris a sollicité l'aide d'Alger dans la crise régionale au Sahel. Alors que l'annulation de la visite de Jean Castex n'était pas encore actée, le chef d'état-major des armées françaises, le général François Lecointre était reçu, lors d'une très rare visite à Alger, non annoncée, par son homologue Saïd Chanegriha. Au même moment, un ministre algérien, El Hachemi Djaâboub, qualifiait la France «d'ennemi traditionnel et éternel» de l'Algérie.