Soutien à un président «courageux», «transition» et «stabilité» : en quelques mots Emmanuel Macron a enflammé une relation qu'il s'efforçait d'apaiser avec l'Algérie, braquant l'opposition politique et les médias algériens contre lui. Le président français a déclaré à l'hebdomadaire Jeune Afrique qu'il fera tout son possible «pour aider le président Tebboune», le jugeant «courageux», alors que son homologue reste contesté dans la rue et dans les urnes. «Ingérence», «néocolonialisme», Emmanuel Macron se croit «autorisé à distribuer des certificats de légitimité», ont aussitôt déploré partis d'opposition et militants du mouvement de contestation populaire du «Hirak». Dans une lettre au vitriol publiée sur son compte Facebook, l'opposant Karim Tabbou, figure centrale du Hirak, l'a interpellé directement. «Au nom de quelle valeur, quelle morale et quel principe démocratique, pouvez-vous justifier votre caution à un pouvoir arrogant qui emprisonne des journalistes, bafoue les libertés publiques et soumet la justice à son diktat», a-t-il martelé. Né d'un immense ras-le-bol des Algériens, le Hirak a poussé à la démission du président Abdelaziz Bouteflika en 2019, après 20 ans de règne autocratique, et réclame un profond changement du «système» en place depuis l'indépendance en 1962. En vain jusqu'à présent. Les autorités algériennes ciblent quotidiennement depuis des mois militants, opposants politiques, journalistes et internautes, multipliant interpellations, poursuites judiciaires et condamnations, afin d'empêcher une reprise du mouvement, suspendu par la crise de la Covid-19. «Bien choisir ses mots» Tétanisée pour des raisons historiques par la relation avec Alger, la diplomatie française calibre au millimètre chaque déclaration afin de ménager toutes les susceptibilités à l'égard de l'ancienne puissance coloniale, au risque de paraître souvent bien frileuse sur les droits de l'Homme. Dans la relation avec Alger, «il faut bien choisir ses mot », «le président Macron les a malheureusement mal choisis, ils sont maladroits et contreproductifs», estime Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. «On a l'impression qu'il ne reconnaît pas ce qu'il se passe, qu'il soutient un pouvoir discrédité par la population et minimise la portée du mouvement populaire», ajoute-t-il. En coulisse, un proche du chef de l'Etat dément toute prise de position contre le Hirak – «il reste extrêmement sensible à ce qu'il se passe en Algérie», dit-il – et relève avant tout une «manifestation d'amitié envers le peuple algérien et son président» en pleine crise sanitaire. Certains veulent aussi voir une main tendue de la France au président Tebboune face à une partie de la hiérarchie militaire. Mal élu en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune souffre d'un déficit de confiance confirmé par une abstention historique lors du référendum constitutionnel du 1er novembre, son projet-phare, et est éloigné du pouvoir depuis un mois, hospitalisé en Allemagne pour cause de Covid. «Tout le monde n'a pas forcément intérêt à ce qu'il réussisse», il n'est pas à l'abri d'une «destitution par les militaires», relèvent certains commentateurs à Paris comme Alger. «Je t'aime moi non plus» L'absence du président a éveillé le spectre, pour beaucoup d'Algériens, de la vacance du pouvoir lors des hospitalisations à l'étranger d'Abdelaziz Bouteflika après son grave accident vasculaire cérébral en 2013. «Tout cela rappelle l'humiliation du règne de Bouteflika, le quatrième mandat, le soutien de la France aussi à ce règne», observe Brahim Oumansour, chercheur à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris) à Paris. «Soutenir Tebboune en ce moment, alors qu'il y a des incertitudes sur l'avenir de sa présidence, c'est une prise de risque», analyse-t-il. Au final selon lui, en ménageant Alger, la France reste avant tout soucieuse de préserver ses intérêts, à commencer par la coopération sécuritaire au Sahel. Mais pour Paris, tout n'est que prise de risque dans une relation qui n'est toujours pas dépassionnée, 60 ans après l'indépendance. De ce point de vue là, «intervenir sur les droits de l'Homme, c'est cocher toutes les cases de la catastrophe politique et diplomatique. Ils sont hypersensibles à cela», pointe un observateur français. Le président Macron a bien esquissé dans son interview une critique de la répression du Hirak – «il y a aussi des choses qui ne sont pas dans nos standards et que nous aimerions voir évoluer», a-t-il dit – mais ses propos, très sibyllins, sont passés inaperçus. Le régime a construit sa légitimité autour du sentiment antifrançais, qu'il continue d'agiter. Et le contentieux autour de la mémoire de la guerre d'Algérie reste vif, malgré les appels à la réconciliation du président Macron. «Même si on se taisait on interprèterait le silence ! Avec l'Algérie, c'est toujours je t'aime moi non plus. Trouver la pertinence ce n'est jamais simple», résume un responsable gouvernemental français.