La diffusion à la télévision française de documentaires sur le mouvement (« Hirak ») antirégime en Algérie a déclenché la colère d'Alger et un énième coup de chaud diplomatique avec l'ancienne puissance coloniale, sur fond de défiance accrue à l'égard des médias étrangers. Alger a décidé mercredi de rappeler « immédiatement » pour consultations son ambassadeur à Paris, Salah Lebdioui, à la suite de la programmation la veille en prime time des deux films, « Algérie Mon Amour » (2020) et « Algérie: Les Promesses de l'Aube » (2019), respectivement sur la chaîne du service public France 5 et La Chaîne Parlementaire (LCP). Pour Alger, il s'agit d'une cabale « néocoloniale » orchestrée à Paris. « Algérie Mon Amour », du journaliste et réalisateur français d'origine algérienne Mustapha Kessous, a soulevé dès sa diffusion de vifs échanges sur les réseaux sociaux. Paradoxalement, ce documentaire a autant déplu à des partisans du « Hirak », parlant de « trahison », qu'aux dirigeants algériens, sur la défensive et impuissants à contrôler l'internet. Il a fait surgir des divisions –générationnelles et socioculturelles– qui agitent un mouvement de contestation pluriel et sans leadership. Le film présente sans tabou (en particulier sexuel) les témoignages de cinq jeunes –trois hommes et deux femmes originaires d'Alger, Oran et Tizi Ouzou– ayant pris part au « Hirak », le soulèvement populaire qui a ébranlé le pouvoir algérien pendant plus d'un an jusqu'à sa suspension en raison de l'épidémie de Covid-19. Le groupe public France Télévisions, dont France 5 est une des chaînes, et le réalisateur se refusent à tout commentaire. Début avril, déjà, l'ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, avait été convoqué aux Affaires étrangères après des déclarations tenues par un intervenant sur la chaîne internationale France 24, à propos de l'aide médicale chinoise, propos qui avaient fortement déplu à Alger. « Le régime algérien fait semblant de croire que, comme en Algérie, l'audiovisuel public serait en France aux ordres du pouvoir politique », estime l'historien Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris. « La crise diplomatique qu'il a ainsi artificiellement créée participe d'une campagne méthodique de verrouillage du champ médiatique et d'étouffement des voix critiques », analyse-t-il. Ces polémiques récurrentes illustrent la nature volatile, sinon tumultueuse, des relations entre Alger et Paris, nourries de crispations et de malentendus depuis l'indépendance en 1962. Après le déclenchement du « Hirak » en février 2019, Alger avait mal pris des déclarations du président français Emmanuel Macron qui avait appelé à « une transition d'une durée raisonnable », des propos alors interprétés comme « une ingérence dans les affaires » de l'Algérie. Les relations bilatérales étaient restées de facto au point mort pendant un an. Et au début de l'année, le président Abdelmadjid Tebboune, sitôt élu, avait réclamé le « respect mutuel » dans les relations bilatérales, en rappelant que « l'Algérie n'est pas une chasse gardée de la France ». Ce nouvel épisode s'inscrit dans un climat de répression à l'encontre des opposants, des journalistes -certains en prison- et des médias indépendants. Déterminées à empêcher toute résurgence du « Hirak », les autorités ont bloqué ces dernières semaines plusieurs sites d'information accusés d'être financés par des « organisation étrangères ». Aucune accréditation, obligatoire pour travailler, n'a été renouvelée en 2020 pour les correspondants permanents de médias étrangers à Alger.