Depuis le Mali, Ramtane Lamamra a parlé de «solidarité agissante» avec Bamako, au moment où les nouvelles autorités du pays ont convoqué l'ambassadeur de France à Bamako pour exprimer leur «indignation» après les critiques très vigoureuses de M. Macron à la suite du discours de M. Maïga à l'ONU. «La détermination d'Emmanuel Macron à tourner enfin la page des querelles mémorielles franco-algériennes vient de déboucher sur une crise sans précédent entre Paris et Alger. Ce n'est pas la première fois que la parole présidentielle, mêlant l'officiel à l'informel, suscite trouble et incompréhension sur la scène internationale» a écrit sur son blog l'historien Jean-Pierre Filiu. «Mais jamais la confusion des genres entre le registre franco-français et le discours diplomatique n'a provoqué une telle tension, compromettant sans doute pour longtemps la sérénité des relations franco-algériennes. Car Macron est parvenu à faire contre lui l'unanimité en Algérie, aussi bien chez les partisans du régime que dans les rangs de l'opposition» affirme-t-il. Ramtane Lamamra en est allé au point de plaider pour une «décolonisation» comme une «priorité» pour que la «faillite mémorielle», manifestée, selon lui, par les récents propos français envers l'Algérie et le Mali, puisse «s'assainir par un respect mutuel inconditionnel, respect de notre souveraineté, respect de notre indépendance de décision». Il n'a toutefois pas cité nommément M. Macron mais a parlé d'une «faillite mémorielle, qui est malheureusement intergénérationnelle chez un certain nombre d'acteurs de la vie politique française, parfois aux niveaux les plus élevés», et «qui pousse les relations de la France officielle avec certains de nos pays dans des situations de crise malencontreuse». Selon M. Filiu, «le président français paie aujourd'hui des années d'aveuglement sur la nature réelle du régime algérien. Il a longtemps cru, ou voulu croire, que son homologue à Alger, Abdelaziz Bouteflika jusqu'en avril 2019, Abdelmadjid Tebboune depuis décembre 2019, pouvait être son partenaire dans une réconciliation des mémoires entre la France et l'Algérie», indiquant que les intentions de Paris étaient fondées «sur une analyse profondément erronée du rapport de force en Algérie, où la contestation populaire du Hirak, une fois obtenue la démission de Bouteflika, a accentué la crispation des généraux algériens et leur mainmise sur la façade civile du pouvoir. Alors que les manifestants exigeaient "une nouvelle indépendance" et remettaient en cause l'histoire officielle de l'Algérie, Macron a préféré accorder son soutien sans réserve à Tebboune, pourtant élu dans un scrutin massivement boycotté par la population.» «Tout à son grand œuvre mémoriel, le président français a, en novembre 2020, qualifié de "courageux" son homologue algérien, oubliant que Tebboune avait, sept mois plus tôt, accusé la France d'avoir massacré "plus de la moitié de la population algérienne". L'annulation, en avril, de la visite du premier ministre français à Alger, sur fond de déclaration anti-française d'un membre du gouvernement, a souligné la fragilité du pari de Macron sur Tebboune. Sans doute frustré par une telle impasse, le président français saisit l'occasion d'un déjeuner à l'Elysée, le 30 septembre, avec des "petits-enfants" de la guerre d'Algérie pour décrire un "système politico-militaire" à la fois "fatigué" et "très dur", car "construit sur la rente mémorielle". Ces propos provoquent naturellement l'ire du pouvoir algérien, avec rappel de l'ambassadeur d'Algérie à Paris et interdiction du survol de l'Algérie par les avions français opérant au Sahel» détaille-t-il. En Algérie même, la presse pro-gouvernementale se déchaîne avec des mots impitoyables. Selon M. Filiu, «l'entêtement du pari [de Macron] sur Tebboune, qu'il a cru compenser par sa mise en cause tardive d'un "système politico-militaire", a beaucoup pesé dans un tel fiasco. Mais le doute jeté par l'Elysée sur la profondeur historique de la nation algérienne peut difficilement s'apparenter à un travail d'apaisement des mémoires. Et il faudra du temps pour prendre la mesure des dommages infligés à la relation franco-algérienne par une séquence aussi heurtée.» «Dans un tel contexte, les mots qu'Emmanuel Macron prononcera le 17 octobre prochain sont très attendus. Le soixantième anniversaire des ratonnades policières de Paris, au cours desquelles des dizaines d'Algériens ont été tués, peut en effet être marqué par des gestes mémoriels d'une grande portée. Reste à savoir s'ils suffiront à apaiser le trouble profond qui prévaut désormais dans les relations franco-algériennes» a-t-il conclu.