En Algérie, les propos du président Emmanuel ont créé un choc sans précédent. Entre le ministre des affaires étrangères qui a qualifié de «faillite mémorielle» d'«intergénérationnelle chez un certain nombre d'acteurs de la vie politique française» la relation franco-algérienne, et les relais du régime qui cherchent des origines préhistoriques à l'Algérie actuelle, l'heure est grave. Dans une tribune accordée au Monde dans son édition de fin de semaine, le politiste algérien Lahouari Addi affirme que la réaction virulente du régime algérien aux propos tenus par Emmanuel Macron le 30 septembre tient à ce que ce dernier n'assume pas que son rôle est «juste formel» puisque sa souveraineté est dans les mains de la hiérarchie militaire, «Il est vrai que c'est la première fois qu'un président français dit publiquement ce que ses prédécesseurs, de droite comme de gauche, disaient en privé. Les officiels français sont exaspérés de ne pas avoir des interlocuteurs algériens dotés de l'autorité que leurs fonctions supposent. C'est ce que veut dire Emmanuel Macron quand il parle du président Abdelmadjid Tebboune, qu'il décrit comme étant l'otage d'un "système politico-militaire dur"» analyse Lahouari Addi. «Venant de la France, pays à travers lequel beaucoup de gouvernements étrangers perçoivent l'Algérie, cette déclaration est considérée comme un coup de poignard dans le dos par des généraux qui font tout pour apparaître sous les ordres du président. Il n'est pas à écarter que Macron ait été contrarié par le peu d'empressement que montre l'Algérie à accepter l'expulsion de ses ressortissants en situation irrégulière, en cette période préélectorale où Eric Zemmour presse gauche et droite sur la question sensible de l'immigration clandestine» détaille-t-il. Au Mali, avant quelques jours, le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, a eu des mots durs envers Paris. «Nos partenaires étrangers ont besoin de décoloniser leur propre histoire», a ainsi déclaré Ramtane Lamamra. «Ils [les partenaires étrangers de l'Algérie] ont besoin de se libérer de certaines attitudes, de certains comportements, de certaines visions qui sont intrinsèquement liées à la logique incohérente portée par la prétendue mission civilisatrice de l'Occident, qui a été la couverture idéologique utilisée pour essayer de faire passer le crime contre l'humanité qu'a été la colonisation de l'Algérie, la colonisation du Mali et la colonisation de tant de peuples africains», a-t-il déclaré. Il n'a toutefois pas cité nommément M. Macron mais a parlé d'une «faillite mémorielle, qui est malheureusement intergénérationnelle chez un certain nombre d'acteurs de la vie politique française, parfois aux niveaux les plus élevés», et «qui pousse les relations de la France officielle avec certains de nos pays dans des situations de crise malencontreuse». Alger veut-il monnayer en contrepartie de cette expulsion l'extradition d'opposants sur le sol français ? s'interroge M. Addi. «Cela est probable, surtout que les services de sécurité algériens ont été encouragés à cette fin par l'extradition d'Espagne d'un ex-gendarme réfugié à Barcelone obtenue à la suite de négociations confidentielles. Mais l'Algérie a moins de moyens de pression sur la France que sur l'Espagne qui pourrait, du jour au lendemain, ne plus recevoir de gaz algérien [l'Algérie fournit à la péninsule Ibérique 50 % de son gaz ]. Si cela se confirmait à l'avenir, cela signifierait que la diplomatie algérienne donne la priorité à la lutte contre l'opposition au détriment d'autres aspects de la coopération avec les pays d'Europe, portant notamment sur les échanges économiques et culturels» pointe-t-il. Pour lui, «les services de sécurité, qui décident de la politique étrangère, ont juste oublié que ce qu'ils obtenaient hier de [l'ancien ministre de l'intérieur de 1986 à 1988 et de 1993 à 1995] Charles Pasqua, ils ne peuvent l'obtenir aujourd'hui d'Emmanuel Macron. Pour les officiels algériens, la déclaration du président français est inadmissible de la part d'un chef d'Etat étranger. La réaction sera d'autant plus brutale que le régime algérien n'assume pas sa caractéristique essentielle, à savoir que la souveraineté appartient à la hiérarchie militaire en lieu et place de l'électorat, sous un habillage institutionnel qui ne traduit pas la réalité des rapports d'autorité au sommet de l'Etat.» En réalité, affirme M. Addi, «la démocratie en Algérie est juste formelle puisque le président est désigné par la hiérarchie militaire à la suite d'un plébiscite auquel participent des candidats qui acceptent d'être des leurres. Lors des élections des députés et des maires, les listes de candidatures sont filtrées en amont par le service d'espionnage – le fameux département du renseignement et de la sécurité (DRS), qui change souvent de nom – pour ne faire élire que les candidats qui respectent la règle non écrite du système politique algérien : l'armée est seule source du pouvoir.» «Par les propos qu'il a tenus le 30 septembre, Emmanuel Macron reconnaît explicitement la légitimité politique des revendications du Hirak, ce qui est inacceptable pour le régime algérien qui, jusqu'à présent, a toujours bénéficié de l'appui diplomatique de la France. La réaction virulente d'Alger exprime la peur de perdre la rente diplomatique française qui avait protégé le régime, accusé par Amnesty International et Human Rights Watch durant les années 1990 de violations massives de droits de l'homme» abonde-t-il. «Les propos du président français sont courageux, surmontant la raison d'Etat et ne reculant pas devant les lobbys économiques sectoriels» affirme M. Addi, mais ajoutant que la colonisation française «a imposé un droit d'exception inégalitaire», raison pour laquelle les Algériens «gardent en mémoire qu'ils ont été méprisés et traités injustement par la France.»