Dans une interview accordée au magazine américain Newslooks, Patrick Dunleavy* expert américain en terrorisme, professeur émérite de science politique et de politique publique au Département gouvernemental de la London School of Economics, parle de la place des terroristes dans les pays démocratiques. Les sociétés démocratiques offrent-elles un paradis aux terroristes ? Ces derniers profitent-ils de leurs constitutions pour répandre leurs idéologies et gagner l'esprit de leurs citoyens ? Le contre-terrorisme doit-il respecter les droits civiques des terroristes ? Auquel cas, en quoi cela les aide-t-il à manipuler les systèmes judiciaires ? Ces questions d'ordre général auxquelles l'expert se plie volontiers, précèdent celles plus précises sur le cas de Mohamed Hajib comparé par Newslooks à Anouar al Awlaqi aux Etats-Unis. Et pour cause la propagande anti-américaine de Mohamed Hajib – un ancien terroriste condamné vivant en Allemagne – inquiète. Les Etats-Unis doivent-ils agir maintenant ou attendre que ses paroles se transforment en actes ? les Etats-Unis devraient-ils exercer davantage de pression sur l'Allemagne et d'autres alliés pour qu'ils prennent des mesures contre les activités terroristes sur Internet ? L'occident a-t-il permis aux institutions islamiques fanatiques, d'influencer ses sociétés ? comment contrôler leurs activités sans porter atteinte à leurs droits constitutionnels ? Toutes ces interrogations ont été décortiquées par le magazine à la lumière de l'expertise de l'universitaire américain Patrick Dunleavy sans faire l'impasse sur les développements récents en Afghanistan. Précisant la définition du terrorisme, qui pour lui n'est pas forcément de s'emparer de terres et biens mais précisément d'implanter la peur chez les victimes, Patrick Dunleavy affirme que les démocraties sont devenues des paradis pour terroristes grâce aux libertés individuelles et particulièrement grâce à la liberté d'expression. Les terroristes semblent exploiter ce qu'ils perçoivent comme la plus grande faiblesse des démocraties que l'expert en terrorisme qualifie de grande force et qui est la liberté sous toutes ses formes. Liberté de mouvement , liberté d'expression et liberté de pensée. Les terroristes utilisent ces axes pour distiller un message, qui a première vue peut sembler inoffensif, mais qui guide ceux qui les écoutent vers leur objectif funeste. Pour le contrer, souligne l'universitaire américain, les gouvernements, spécialement les démocraties, peuvent utiliser des outils pour combattre les actes terroristes avant qu'ils n'aient lieu en infiltrant les groupes concernés, en se saisissant de leurs communications par le biais des outils technologiques. Mais l'objectif suprême pour combattre le terrorisme est, clame-t- il, que les communautés et leurs représentants parlent d'une voix audible et réfutent leurs messages, particulièrement ceux qui privent les jeunes de leurs droits, notamment ces jeunes qui sentent qu'ils n'ont pas de voix ni d'objectif dans leurs vies. Leur vulnérabilité, assure-t-il, constitue un terreau fertile pour le jihadisme et le terrorisme. Les représentants de communautés, dont les communautés religieuses, doivent prendre position contre cette idéologie et dénier son message : «si les gouvernements ne sont pas épaulés par eux, et qu'ils demeurent seuls à agir, nous continuerons toujours à combattre dans des batailles et ne gagneront jamais la guerre contre le terrorisme », affirme l'expert. Contre–terrorisme, droits civiques et manipulation du système judiciaire Selon Patrick Dunleavy, avec le foisonnement et l'attractivité galopante des médias sociaux au cours des 20 dernières années, les terroristes ont été à l'avant-garde en investissant les plateformes médiatiques. Il précise que Twitter, Facebook Instagram, Youtube ne sont pas des plates-formes gouvernementales, ce sont des plateformes laïques et également des entreprises. Il recommande de surveiller les médias sociaux par le biais d'experts en contre-terrorisme, tout en prenant en compte la question de la confidentialité qui est sensible et délicate. Il invite les communautés à y participer, l'expert ayant la conviction que leur implication est un facteur clé de réussite dans la guerre menée contre le terrorisme. Mohamed Hajib et propagande anti-américaine Newslooks estime qu'à l'instar d'Anwar al awlaqi (membre actif d'Al Qaeda) à la périphérie de Washington DC, Mohamed Hajib diffuse actuellement en Allemagne des idées anti-américaines, et demande à Patrick Dunleavy si les USA doivent agir immédiatement ou attendre que ses mots se transforment en actes. Concernant Mohamed Hajib, l'expert américain estime que son mode opératoire est effectivement calqué sur celui d'Anwar Al awlaqi. Avant d'en venir à la solution pour prendre le contre-pied de sa méthodologie, Patrick Dunleavy s'intéresse au cheminement qui l'a conduit à devenir celui qu'il est aujourd'hui. Ce Marocain de 40 ans a en 2009 voyagé au Pakistan pour étudier à la « Jamaat Tabligh» [ Association pour la prédication]. Les étudiants qui constituent ce groupe, annonce-t-il, sont des individus comme José Padilla (alias Abdullah al-Muhajir), Richard Reid, l'homme à la chaussure piégée, John Walker Lindh, le Taliban américain. Ainsi, ce groupe semble inoffensif, prêche une forme d'islam salafiste et nie tout lien avec le terrorisme. Cependant, à y regarder de plus près, la transformation de ceux qui y étudient est flagrante et leur rhétorique aussi. Certaines affirmations de Mohamed Hajib selon lesquelles il aurait été torturé alors qu'il était détenu au Maroc ont été réfutées par des personnes qui étaient ses véritables compagnons de cellule, commente l'expert. Deux d'entre eux du nom d'Hassan Al Qatab et un autre du nom de Buchacharith à leur sortie de prison, ont certifié qu'il s'était personnellement infligé certaines des blessures qu'il prétendait être des actes de torture, notant au passage qu'il avait un smartphone en cellule. Patrick Dunleavy rappelle que « jamaat tabligh » a souvent été un tremplin pour les membres d'al-qaïda et d'autres terroristes islamiques radicaux. Aujourd'hui, commente-til, Hajib se positionne en martyr, victime, injustement torturée et emprisonnée. De l'avis de l'expert américain, il exploite cette rhétorique non seulement par des poursuites et réclamations de dommages et intérêts, mais aussi en propageant sur les réseaux sociaux un message de victimisation selon lequel il aurait été persécuté car musulman. Pour contrer cette imposture, Patrick Dunleavy souligne qu'il est nécessaire que des voix se lèvent et le confrontent aux racines de son jihadisme et de son appartenance à un groupe qui comprenait en son sein d'autres terroristes. Car explique-t-il, il est juste impossible de changer du jour en lendemain. Cette question en pose une autre relative à l'entrée potentielle sur le territoire américain, d'un tel individu. Une telle éventualité, dit l'expert américain, serait soumise à l'examen de son visa, au but de sa visite. Et ce, d'autant, rappelle-t-il, que l'arrestation de Hajib au Pakistan était liée à un problème de visa. Patrick Dunleavy rappelle également que les Etats-Unis ont déjà autorisé sur leur territoire, des terroristes sous couvert d'être des personnes inoffensives comme Omar abdel rahman, également connu sous le nom de « cheikh aveugle ». Ce soi-disant vieux prédicateur islamique persécuté par le gouvernement égyptien, a recruté et formé tout un groupe de terroristes dans les années 1990 dans différentes mosquées de New York pour attaquer le World Trade Center en février 1993. A la lumière de ces faits, concernant un individu comme M Hajib, le département d'Etat, juge Patrick Dunleavy, devrait faire preuve de prudence en conjonction avec les agences de renseignement comme la CIA et les forces de l'ordre comme le FBI à même de juger et d'accorder ou non un visa à cette personne. De l'avis de l'expert américain en terrorisme, l'Allemagne et plus globalement l'UE, a davantage été en proie au recrutement et aux actes de terroristes islamiques que les Etats-Unis ; en particulier en raison du fait que la circulation au sein de l'UE est libre depuis sa formation. Mais il faudrait, à son sens, commencer à resserrer les contrôles ; les expulsions ne règlent pas le problème des points de passages ouverts que de plus en plus de terroristes potentiels peuvent franchir Institutions fanatiques aux Etats-Unis, influence et contrôle de leurs activités Patrick Dunleavy énumère aux côtés du groupe dont M Hajib fait partie, Dara Hichar, la mosquée de Virginie et non loin de l'Institut Cordoba, l'Institut supérieur des sciences sociales islamiques, fondé par un saoudien wahabi salafiste rigoriste, devenu un clergé musulman certifié. Parallèlement, de nombreux membres du clergé musulman aux Etats-Unis n'ont jamais reçu aucun enseignement formel ni aucun type de formation. Beaucoup d'entre eux sont des criminels tout droit sortis de prison où ils se sont convertis à l'islam et sont même devenus des chefs religieux. L'un de ceux-là, Jalil Alamini (anciennement connu sous le nom de H Rap Brown), à l'origine du mouvement radical Dar salam, est actuellement dans une prison supermax du Colorado pour le meurtre d'un policier américain. C'est ce mouvement Dar salam, poursuit Patrick Dunleavy, qui a promulgué le terrorisme aux Etats-Unis. Contre-terrorisme et récents développements en Afghanistan La guerre contre le terrorisme continue, souligne l'universitaire américain. Les gens soutiennent qu'il n'y a pas de guerre, mais quand un groupe comme al-Qaïda et d'autres vous déclarent la guerre, celle-ci n'est pas finie : « Tant que l'un des deux bords ne se rend pas, il n'y a pas d'armistice. », relève-t-il. En Afghanistan, les Etats-Unis se battus pendant 20 ans pour essayer de changer la culture du pays là où ils auraient dû, à son sens, s'en tenir à l'objectif initial qui était d'éliminer al-Qaïda et d'autres groupes terroristes islamiques qui se terraient en Afghanistan. Au lieu de quoi, l'Afghanistan est sous la domination des Talibans pendant que les USA essaient de les traiter comme une organisation politique de bonne foi qui peut diriger un pays : « Ils ne peuvent pas changer, ce sont des terroristes, ils exporteront à nouveau le terrorisme. Il faut de la détermination, du courage, et de l'innovation pour répondre aux terroristes au fur et à mesure qu'ils changent, et s'adapter au champ de bataille à mesure qu'il se transforme », assure Patrick Dunleavy. Par contre, selon lui, toutes les guerres ne se déroulent pas sur le champ de bataille, certaines se déroulent dans l'esprit de jeunes hommes et femmes vulnérables qui reçoivent des messages qui doivent être contestés. P. Dunleavy réitère que le gouvernement ne peut y arriver à lui seul et insiste sur le fait que pour gagner le combat contre le terrorisme, déployer des moyens financiers n'est pas suffisant. Il conclut sur son intime conviction qu'il faut en parallèle délivrer un message d'espoir d'une vie sans terreur, pour y arriver.
* Eminent théoricien politique spécialisé dans les domaines des politiques publiques et du gouvernement, Patrick Dunleavy est auteur de « The Fertile Soil of Jihad » [Le terreau fertile du Jihad, NDLR], il a témoigné en tant que témoin expert devant le Comité de la Chambre des Etats-Unis sur la sécurité intérieure concernant la menace de la radicalisation islamique. Il a également enseigné des cours sur le terrorisme pour l'école des opérations spéciales de l'USAF (United States Air Force) , intitulés « Dynamics of International Terrorism » [la dynamique du terrorisme international].