Dans un scandaleux communiqué publié dans la soirée du 6 juin, qui renvoie dos à dos la victime et son bourreau, de sulfureux journalistes, à la réputation douteuse, se sont affirmés comme les avocats trop zélés de l'éditorialiste écroué, usant de procédés très contestables pour s'emparer de l'opinion. S'attaquer à une victime qui affirme avoir subi un viol, lui faire son procès sans ménager les termes, sans apporter des preuves à l'appui, sans citer des faits, des exemples, des noms : c'est la prouesse accomplie par une dizaine de journalistes discrédités, qui ont signé, le 6 juin, un communiqué aux relents complotistes pour défendre le rédacteur en chef du quotidien proche des islamistes Akhbar al-Yaoum, Soulaiman Raissouni, écroué dans une prison à Casablanca pour des faits de viol. Les faits reprochés à Raissouni ? «Faiblement fondés». Arrêté car «ses écrits dérangent l'État profond (sic !)». Puis, ces deux mots, qui résument le malaise : «Notre collègue». La griffe corporatisme érigé comme morale collective. la surenchère, l'émiettement du sens de la responsabilité. Des plumes peu soucieuses d'éviter l'exagération et fort sujets à prendre l'effet pour la cause n'ont pas épargné les réprimandes à une victime qui souffre, opposant à l'esprit de vérité l'esprit de réaction. Le communiqué, de trois pages et écrit à la hâte, plaide les droits de l'accusé avec un grain de mépris pour ceux de sa victime. L'indifférence aux faits n'est pas autre chose au fond que l'indifférence à la justice, ce qui est un commencement d'iniquité. Ce qui est plus funeste et moins explicable, c'est non seulement cette tentative d'étouffer la réalité, mais c'est la fréquente alliance entre une certaine indignité intellectuelle et une dédaigneuse hostilité envers tous les principes de liberté. Le parquet de Casablanca a placé, le 25 mai en détention préventive, le rédacteur en chef du quotidien Akhbar al-Yaoum, Soulaiman Raissouni, soupçonné de graves faits d'abus sexuels. Âgé de 48 ans, il a été interpellé non à la suite d'une plainte d'un militant pour les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans), ce dernier ayant été entendu par la police. Un communiqué, un chef-d'œuvre de dissimulation, où ne figure pas une fois le nom de la victime ; les signataires avaient juré de l'ignorer, ils ont tenu parole. Un procédé semblable est pour le moins scandaleux. Ils organisent autour d'Adam Muhammad (comme auparavant autour des femmes abusées par le journaliste déchu Toufik Bouachrine), cette conspiration du silence qui est le plus sûr moyen de désespérer une victime, de la réduire à douter du bien fondé de sa cause, de sa légitimité même. Des libellistes, des boutes-feu que de personnes connaissent, justifient des abus sexuels Loin de se rétracter sur rien, ils résument l'affaire de Raissouni à une cabale menée par les autorités contre les plumes «libres». Ces mêmes plumes, portées à croire que la victime de Soulaiman a mérité notre sort, l'efface complètement de son communiqué. Le document, de trois pages, sera lu avec défiance et, ailleurs, beaucoup sont persuadés que le domaine des droits de l'homme au Maroc a dégénéré de son antique probité, qu'il est en train de se corrompre, que ce champ de pur froment, jadis prospère, est envahi par l'ivraie, que ces journalistes en particulier, du haut de leurs mensonges, de leurs si hautaines leçons, de leurs mauvaises intentions, se déshonorent. Certains d'entre eux trafiquent de leurs idées, se donnent au plus offrant, louent qui les solde et réservent leurs accablantes rigueurs pour les plus faibles, pour les plus vulnérables. «La culture du viol a de beaux jours devant elle», avait déclaré Ibtissam Lachguar, infatigable militante du collectif de défense des libertés individuelles MALI. Une phrase qui sonne fort. Et tandis que les autorités marocaines affirment que la procédure judiciaire est répond aux normes internationales, mettant en avant l'indépendance de la justice. L'asservissement croissant d'une certaine coterie, qui s'en prend aux institutions, aux faits, de jour en jour plus dépendante, de jour en jour plus accessible aux leçons et aux mots d'ordre qu'elle reçoit de ses maître, n'est plus un secret pour personne.