À quelque 60 kilomètres au sud d'Oujda, Jérada se coltine un quotidien peu enviable depuis la fermeture en 1998 des mines d'anthracite, principale ressource de la région. Voyage au bout d'une ville qui a connu son heure de gloire. Avec ses petites maisons en tuile rouge plantées à l'entrée, Jérada a l'allure d'une station estivale qui rappelle un peu Imouzzer ou Ifrane dans le Moyen-Atlas. Mais à mesure que le visiteur s'enfonce à l'intérieur de la ville, il découvre une autre réalité. Terrasses de cafés peuplées de jeunes désœuvrés et quelques boutiques délabrées en mal de clientèle. À Jérada, il règne une ambiance de nonchalance. La désillusion est sur tous les visages. Ici, la vie pèse des tonnes. Elle tourne au ralenti. Située à 60 kilomètres au sud d'Oujda, élevée au rang de province depuis 1994, Jérada et sa région, 115.000 habitants, affichent encore les signes d'une prospérité aujourd'hui perdue. Une richesse construite principalement autour de l'activité minière, le fameux charbon, qui faisait vivre Jérada et même les environs. La fermeture brutale des mines en 1998, exploitées par les Charbonnages du Maroc (CDM), a précipité la déchéance d'une cité qui avait connu son heure de gloire. Du coup, le pouvoir d'achat local, qui fut l'un des plus élevés de l'Oriental, s'effondre. Le début d'une crise sans fond. Témoin de cette période faste, la cité ouvrière, sous forme de taudis, habités par les mineurs. La plupart des logements ont été démolis. Derrière, des rangées d'échoppes en déshérence où errent des chiens abandonnés. Seules quelques familles continuent à vivoter dans ce champ de ruines sur lequel verra le jour, dit-on, une salle omnisports. Le quartier européen, lui, toujours en place, où habitaient dans le temps les agents de maîtrise français, est devenu un lieu de résidence des autochtones. Tout autour de Jérada des amoncellements de résidus de charbon, une multitude de puits creusés un peu partout. Le dépôt de la société des CDM déserté avec à l'entrée des engins attaqués par la rouille. Un décor de désolation. Des fumeroles s'élèvent dans le ciel. Elles émanent de la centrale thermique érigée par les Russes dans les années 70. Cette centrale continue à fonctionner, alimentant la région en électricité, mais avec du combustible importé des Etats-Unis et de l'Afrique du Sud. Le coût de revient trop élevé du charbon local était avancé justement comme principal argument pour décréter la fermeture. Et puis, cette activité, autre argument, est officiellement déficitaire depuis les années 70. Mais pour des raisons sociales, on a reporté à plus tard la décision de fermeture d'un gisement qui produisait jusqu'à 700.000 tonnes de minerai par an. C'était le temps des vaches grasses. Mais où sont partis les profits réalisés depuis sa mise en exploitation en 1932 ? Les mineurs gagn-aient alors beaucoup d'argent. Le travail à la tâche pouvait rapporter jusqu'à 15.000 Dhs par mois. Un filon en or. Pour indemniser les 4700 nouveaux chômeurs dont certains sont atteints de silicose, l'État marocain a dû débloquer la bagatelle de 130 milliards de centimes. Au lieu d'utiliser ces fonds dans la création sur place de projets de substitution, la majorité des bénéficiaires ont fait un autre usage de leur pécule. Qui a acheté une voiture neuve, qui a convolé en secondes noces, qui a éclusé l'argent dans des gueuletons bien arrosées à Agadir… Originaires de Demnate, Marrakech ou Essa-ouira…, le reste des mineurs, quelque 20% des effectifs, a préféré rentrer chez lui, estimant n'avoir plus rien à faire à Jérada. Une manne substantielle s'est ainsi évaporée. Grande erreur. À qui incombe la responsabilité? N'aurait-il- pas fallu que les pouvoirs publics encadrent cette population pour la majorité illettrée en l'aidant à se reconvertir dans d'autres activités utiles pour la région ? N'aurait-il pas été plus judicieux de préparer à tempérament la reconversion économique de la zone avant de la condamner de la sorte? En tout cas, le résultat est là, dramatique. Une ville sans ressources, qui vit principalement de l'élevage. Insuffisant. Cependant, côté officiel, on reste optimiste. Devant ce naufrage, l'État tente aujourd'hui de faire aboutir un projet vieux de 30 ans : une usine d'alfa pour la fabrication de la pâte à papier, qui prévoit de faire travailler près de 500 permanents. Les promoteurs de l'investissement d'un montant de 250 millions de dollars, le groupe canadien SNC Lavalin, sont parvenus depuis 3 mois à un accord avec le gouvernement marocain. Un accord selon lequel les pouvoirs publics s'engagent à faciliter la mise en place de l'unité par les équipements hors site à concurrence de 10% de l'enveloppe totale. Jérada, qui espère sortir de la crise dans laquelle elle s'est enfoncée du jour au lendemain, fait figure d'une région en cul-de-sac. Enclavée et isolée. “ Jérada est l'exemple type d'une contrée qui a bâti son développement sur l'éphémère”, explique un responsable local. Avec un peu de chance et beaucoup d'efforts, la capitale de l'alfa pourrait se tirer d'affaires. Mais au prix de quels sacrifices ?