Sur Facebook, il y a une vidéo d'Adonis qui circule. On y voit le poète syrien, libanais d'adoption et refugié à Paris depuis 1985, y parler des Arabes et de leur déchéance. Ce qui est étonnant, c'est que cet enregistrement sur Dubaï TV date de 2006. Il est comme ressuscité pour être un message, par procuration, de ce désir de parler et de dire sa vérité à la Nation arabe. Le poète syro-libanais Ali Ahmed Saïd Esber, 79 ans, est mondialement connu sous le pseudonyme d'Adonis, ce nom ponctionné dans la mythologie grecque. Il est, avec Mahmoud Darwich, l'un des plus grands poètes contemporains. Tous deux potentiellement nobélisables. Après la disparition du Palestinien, druide au verbe tourmenté par la terre et qui fut associé à la douleur arabe, Adonis, qui vivait presque dans son ombre, revient en force avec ses mots qui auscultent eux la décadence arabe. Celui qui autrefois disait qu'il n'y a pas «d'identité en dehors de l'identité arabe» et qui rêvait d'une «Andalousie des profondeurs» n'hésite pas aujourd'hui à parler «d'infection arabe» et «d'extinction civilisationnelle». L'arriération, voilà, pour lui, le vrai crime arabe. Ces mêmes Arabes qui, ces derniers siècles, n'ont rien donné au monde si ce n'est la Mosquée et le magasin (Doukkane). Il plaide pour une laïcité qui, seule, pourra ouvrir la voie de l'émancipation et oblitérera la démoralisation de nos sociétés crépusculaires. On parle de silence des intellectuels. Voilà un cri salvateur qui nous vient de l'intérieur. Une voix douce qui soulève des ouragans. Qui l'entend ? Pourquoi est-elle si inaudible ? Pourquoi circule-t-elle sous le manteau ? Cette glose souffle les vents contraires qui viennent contrarier les dunes ensommeillées. Des mots simples qui se dressent contre l'obstination, le sourd refus et ce goût pour la stagnation. Des mots qui déverrouillent la pensée cadenassée et neutralisent nos gendarmes cérébraux. Ils s'attaquent de front contre ces miradors érigés contre le vocable qui délivre. Des mots qui font peur aux autocraties et aux pensées obtuses armées de crédulités fragiles, couardes et qui finissent généralement méchantes. Celles-ci ont peur du mot qui révèle leurs maux et qui ébranle la certitude. La poésie, celle qu'écoutaient les Arabes avant la sacralisation du verbe, revient enfourchant, tel un Pégase hâlé, la mutinerie sémantique. Elle aide à libérer les «mots de l'esclavage des mots». Fabuleux Internet. Tu es décidément le Jekyll et Hyde de la sphère médiatique. Pour peu que la déontologie fasse défaut, on peut t'utiliser comme le pire dépotoir du monde, le terrain de la délation crasseuse, de la rumeur numérisée et de la diffamation en forme de Buzz. Autrement, tu es le plus merveilleux lieu de liberté.