De l'avis de la majorité des observateurs, le maire de Fès a réussi son passage sur le plateau de Hiwar. Il était brillant. Personne ne peut nier le fait que le maire de Fès, Hamid Chabat, a réussi son passage sur le plateau de Mustapha Alaoui le mardi 26 mai. Normal, dira-t-on. Car cela fait des années qu'il rêve de passer dans l'émission Hiwar. Et il savait – on l'a découvert mardi – qu'il avait la capacité de réussir ce test. Devant les caméras, il a fait preuve d'une grande confiance en soi. Mais, il a surtout montré qu'il dégustait le moment et qu'il savourait le plaisir d'être au centre de l'actualité. Ce qui est sa principale passion et son objectif suprême. M. Chabat est d'ailleurs du genre qui aime joindre l'utile à l'agréable : avoir le pouvoir et jouir du pouvoir. Il est aussi insatiable. Il se lasse rapidement de toute chose acquise et cherche à aller plus loin, vers d'autres challenges et prospecte toujours d'autres horizons. Il a toujours des atouts en main et plusieurs options de jeu. C'est pour cela qu'il est difficile de le maîtriser. Ceux qui connaissent bien son parcours estiment que c'est une sorte de mutant qui est apparu soudain sur la scène politique. Sa métamorphose a été provoquée par le choc qu'il a subi lors des émeutes de Fès le 14 décembre 1990. Il avait derrière lui une quinzaine d'années de militantisme syndical au sein de l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) lorsqu'il s'est trouvé du jour au lendemain menacé d'une condamnation à vingt ans de prison ferme pour les actes de rébellion qui ont secoué la ville. Ayant mené tout son parcours syndical dans la transparence, il se rendit compte, soudain, d'une chose qu'il n'avait jamais soupçonnée auparavant : En politique, il existe deux mondes parallèles où l'actualité évolue de deux manières différentes, l'un apparent et l'autre invisible sauf pour les initiés. Se retrouvant seul face à son destin, il passa plusieurs mois à chercher, dans son syndicat, des soutiens capables de lui éviter le pire. En vain. Et, c'est, enfin, dans «le monde parallèle» qu'il trouvera le meilleur soutien. C'est à partir de ce moment de «révélation» que le nouveau Chabat est né. Il ne sera plus jamais cet homme qui milite pour le groupe, au sein du groupe, et pour l'intérêt du groupe. Il devient l'homme qui milite et qui fait militer le groupe pour une seule chose : son propre intérêt. Les quelques mois qu'il a vécus dans l'angoisse, le stress et la panique au lendemain du 14 décembre 90 lui ont appris l'une des meilleures leçons de sa vie: la patience et le bon choix du timing finissent toujours par payer. C'est ce qu'il avouera lui-même sur le plateau de Hiwar en disant qu'un homme politique averti est celui qui sait choisir le bon moment pour prendre la bonne décision. La preuve : il a attendu dix-huit ans avant de prendre sa revanche, d'une manière politiquement magistrale, de ceux qu'il a toujours soupçonnés de l'avoir lâché en 90 – puisqu'il n'aurait trouvé aucun soutien auprès d'eux – à savoir Mohamed Benjelloun Andaloussi et le patron de l'UGTM, Abderezzak Afilal. Il fera exécuter le deuxième par le premier, avant de faire achever ce dernier par les militants du syndicat. Le crime parfait. En l'intervalle d'une année et à travers deux putschs bien planifiés et parfaitement exécutés, il finira par devenir, en février 2009, le patron unique de l'UGTM. Mais, insatiable qu'il est du pouvoir, il veut tout avoir. Depuis le renversement d'Afilal, il savait que son plan pour prendre le syndicat était infaillible et, de ce fait, il pensait déjà à son futur objectif: prendre le parti de l'Istiqlal. Une prise de taille. Un objectif qui vaut le coup, pour un bon joueur avide de pouvoir comme lui. C'est pour cela qu'il se lança dans une opération pour s'infiltrer dans les rouages de la machine de décision du parti en appliquant toujours sa stratégie qui consiste à préparer le terrain avant de débarquer : la technique du «cheval de Troie». C'est ainsi qu'il profite de la principale qualité du parti de l'Istiqlal, à savoir sa très bonne structuration, pour reconquérir les bases avant de prendre la tête. Cette dernière, comme le sait tout le monde, a toujours été répartie en trois clans: Fès, Marrakech et un petit clan dit de Rabat mais qui regroupe des notabilités istiqlaliennes émanant de différentes régions du Maroc. Convaincu que le clan de Marrakech avait été affaibli depuis le départ de Mhamed Boucetta et le déclin politique de Mhamed El Khalifa et que le clan de Rabat est politiquement affaibli depuis la nomination de Abbas El Fassi à la tête d'un gouvernement à majorité fragile, il a décidé d'instrumentaliser l'image des figures emblématiques de l'Istiqlal fassi pour se procurer une légitimité clanique. Natif de Taza, il n'a jamais été considéré comme un vrai Fassi. En l'absence d'un relais avec l'une des grandes familles fassies ayant été à l'origine du parti de l'Istiqlal, il avait besoin de se procurer une légitimité familiale à travers l'adoption. Il chercha un parrainage qu'il trouva auprès de Mohamed Douiri. Un homme qu'il qualifia, à maintes reprises lors de l'émission Hiwar, de «grand moujahid». Ce dernier entoura Chabat d'une bénédiction patriarcale que le maire de Fès récompensera par une bénédiction politique qui a fait accéder M. Douiri au poste de président de la Région de Fès. Aujourd'hui, après avoir maîtrisé la machine décisionnelle au sein de l'Istiqlal dont il tient indirectement les rênes, Hamid Chabat se trouve dans un carrefour où il a devant lui trois voies qu'il semble prendre le temps d'étudier et d'analyser avant d'opter pour l'une d'entre elles. Ainsi, il pourrait prendre la direction du parti et récompenser un fidèle par le syndicat, scinder le parti et partir avec la majorité, monnayer le syndicat pour se faire une place au sein du PAM. Trois options envisageables et réalisables. Mais, sa devise est la patience. Il préfère agir à la Aouita: rester en deuxième ou troisième position, mettre en confiance l'adversaire et ne réagir qu'à l'approche du finish. Pour les observateurs, le dernier tour devrait commencer à l'approche des élections législatives. C'est en ce moment que Chabat pourrait sortir du couloir et entamer son sprint final.