C'est au Maroc que cette diva de la musique brésilienne a fait son premier concert international. Elle en parle à ALM. ALM : Au Brésil, il n'y a pas beaucoup de femmes qui jouent le piano. Qu'est-ce qui a fait l'exception chez vous ? Tania Maria : Il y a 150 ans au Brésil, une grande dame du nom de Chiquinha Gonzaga jouait du piano. Elle était véritablement la seule femme entre les hommes et faisait déjà une musique précurseur qui est le choro, équivalent au raggae time aux états-Unis. Mon père aimait beaucoup les gens qui faisaient cette musique et j'ai grandi en l'écoutant. Au sein de ma famille, personne ne voulait que je sois musicienne à part mon père. J'étais celle qui a fait des études mais qui n'a pas voulu faire comme tout le monde. Jusqu'aux années 80, ce n'était pas bien vu une femme dans ce milieu. Donc, cela a empêché qu'une fille puisse aimer la musique au point d'en faire sa profession. Aujourd'hui, il y a Eliane Elias, c'est une grande musicienne qui joue du piano, mais elle est beaucoup plus jeune que moi. De mon temps, j'étais la seule femme, qui en plus est de couleur. Parce que dans mon pays, les Noirs ont un niveau de vie inférieur aux Blancs. Et mon père qui est blanc m'avait acheté un piano qu'il a payé pendant trois ans. Et cela sans savoir que j'allais jouer avec. J'ai commencé cet instrument quand j'avais 7 ans alors qu'il me l'a acheté quand j'en avais 5. Le piano ne pouvait pas rentrer chez moi puisque nous avions une petite maison. On a dû emménagé ailleurs. Vous avez parlé de cette situation des Noirs. Est-ce c'est ce qui vous a fait quitter votre pays en 1974 ? Ce n'est pas ce qui m'a poussée à quitter mon pays . Mais c'est parce que le Brésil était contrôlé à l'époque par les militaires. Quand je l'ai quitté à l'age de 26 ans, il y a 33 ans de cela, j'étais connue et j'avais déjà sorti cinq disques. Je savais pertinemment, qu'avec ma tête, ma façon de jouer, je ne pouvais pas rester sans faire de concession. Moi, je voulais faire la musique que j'avais dans ma tête, dans mon esprit, dans mon cœur et pas celle qu' eux voulaient que je fasse. Aujourd'hui, nous avons un président, une situation beaucoup plus libre. Avant, je me disais qu'un jour, je vais m'en sortir. Je suis quelqu'un de très spirituel et qui pense que le destin est là. Quand on veut quelque chose, elle finit toujours par arriver. Les gens qui vous connaissent intimement, disent aussi que vous avez un grand cœur. Vous le confirmez ? Moi, je pense que j'ai un bon cœur. Je ne sais pas s'il est aussi grand que cela. J'ai aussi un grand défaut, je dis tout ce que je pense et il y en a beaucoup qui n'aiment pas cela : si c'est bon, je le dis, si c'est mauvais, je le dis. Je ne sais pas aimer à peu près. Ou j'aime ou je suis indifférente. Et comment définissez-vous le scat et les improvisations vocales que vous faites sur scène ? Ce sont des onomatopées rythmiques à la base faites pour imiter la voix des animaux : «Titrititi, torototo...». Je ne fais pas du scat à la façon américaine : «Doubidouba», parce que je suis une Américaine du Sud. Si j'ai à présenter quelque chose, ce sera à ma façon et selon mes origines et ma culture. Je peux adorer la musique du Maroc, mais je ne jouerais jamais comme un Marocain. C'est cela qui est beau entre nous mais que la mondialisation veut transformer. Aujourd'hui, tout le monde veut avoir les mêmes choses. Moi, je pense qu'on doit garder notre identité. C'est cela qui est beau, être orgueilleux et fier d'être Marocain ou Brésilien. Peut-on dire que la musique brésilienne a influencé le jazz ? L'importance de la musique brésilienne est qu'elle est la seule musique à part entière qui a pu s'introduire dans le répertoire jazzistique. Aujourd'hui, il n'y a pas un seul musicien de jazz qui fasse un concert sans qu'il y ait une bossa nova ou quelque chose de la sorte. Donc, nous avons eu de la chance de côtoyer le jazz et d'être au même niveau. Ce n'est même pas grâce aux rythmes brésiliens, mais parce que nous sommes de très bons mélodistes. La mélodie brésilienne, tu la reconnais parce qu'elle dégage une mélancolie, une tristesse, un truc qui touche.
Comment vous vivez le fait d'être une femme qui dirige un groupe d'hommes ? Cela se fait naturellement. Je pense que c'est parce que j'ai eu un père qui m'a appris cela. Quand j'avais 13ans, il a engagé 7 hommes et il m'a dit : tu vas former un groupe et faire de la musique pour danser. Mais principalement, tu vas commander les mecs. Et les règles c'étaient : ne pas avoir de romance avec un musicien du groupe, la deuxième, toujours avoir une oreille, être à l'écoute, puis chercher des gens qui jouent mieux que toi pour pourvoir progresser. Un dernier mot. «Choukran bezzaf » (merci beaucoup). J'ai un profond amour pour le Maroc parce que c'est le premier pays qui m'a engagée en dehors du mien. C'était la première fois où je me suis sentie internationale. J'avais 23 ans et on m'avait invité au Festival international de Marrakech. A l'époque, le frère du Roi Hassan II m'a entendu jouer, et m'a dit : «je vous engage pour deux semaines parce ce sera l'anniversaire de mon neveu Sidi Moulay Rachid qui fêtera ses trois ans». Je suis restée ici et je n'ai jamais été aussi bien récompensée dans ma vie. À l'époque, cela m'avait permis de changer d'appartement. Je ne l'oublierais jamais. Ce n'est pas tellement pour l'aspect matériel, mais pour l'importance qu'il m'a donnée. Je suis venu pour ce festival et j'allais gagner presque rien. Mais j'étais tellement contente de sortir de mon pays et pouvoir montrer ma musique. Je serais toujours reconnaissante au Maroc. Je lui ferais toujours ma révérence pour m'avoir donné cette impression que je pouvais faire de la musique pas seulement dans mon pays mais peut-être dans tout le monde.