Pourquoi les intégristes s'activent dans nos établissements scolaires ? Pour Mohamed Darif, chercheur spécialisé dans les mouvements islamistes, les établissements scolaires sont des lieux propices à la propagation de l'islamisme en général, et de l'intégrisme en particulier. Interview. ALM : Nos lycées seraient-ils un lieu de recrutement pour les islamistes intégristes ? Mohamed Darif : Si on parle de l'islamisme tout court, il a toujours profité des milieux d'enseignement pour propager son idéologie. La majorité des leaders de l'islamisme viennent d'ailleurs de l'enseignement. Pour ce qui est de l'islamisme intégriste, on constate que son idéologie est également fort implantée dans nos lycées. Pour s'en rendre compte, il suffit de rappeler que le chef de la Chabiba islamya, Abdelkrim Moutiâ, était inspecteur dans l'enseignement et que le numéro 2 de cette Chabiba, Kamal Ibrahim, était aussi un homme d'enseignement. Ces derniers, pour ne citer qu'eux, avaient profité de leur statut dans l'enseignement pour encadrer les lycéens. Quand on parle également de la présence du wahabisme au Maroc après 1979, on constate que les Marocains venant de l'Arabie Saoudite avaient largement contribué à sa diffusion au sein des départements des études islamiques créés en 1981. De tout cela, il ressort que le milieu scolaire, et universitaire en général, a joué un grand rôle dans l'alimentation de l'islamisme en général et de l'intégrisme en particulier. L'embrigadement intégriste des élèves se faisait-il à l'intérieur des établissements scolaires ou ailleurs ? Le recrutement ne se faisait pas à l'intérieur de nos lycées, il se faisait principalement dans les maisons des jeunes où s'activaient des centaines d'associations affiliées au département de la jeunesse. Au sein de ces associations, il y avait des activistes d'obédience intégriste chargés d'encadrer des jeunes candidats. En dehors des maisons des jeunes, il y avait des mosquées où des jeunes étaient enrôlés par les activistes islamistes. Si l'embrigadement des jeunes se faisait en dehors des lycées, comment expliquez-vous alors l'activisme des enseignants intégristes au sein des établissements scolaires ? Les enseignants d'obédience intégriste ne véhiculaient pas leurs convictions de manière directe, ils préfèrent parfois orienter des lycéens vers d'autres canaux pour assurer leur encadrement. Et par canaux, il faut entendre des maisons des jeunes ou des foyers secrets tenant lieu de lieux de réunion. Qu'est-ce qui aurait empêché les intégristes de véhiculer leur idéologie dans les lycées ? La présence forte des islamistes à l'intérieur des lycées empêche les enseignants intégristes de véhiculer leurs convictions comme ils veulent. Alors, ils préfèrent endoctriner ailleurs. Quelle catégorie d'âge ces intégristes prennent-ils pour cible ? Des élèves âgés entre 15 et 20 ans. Un choix qui s'explique par des raisons sécuritaires, les intégristes n'ont pas confiance dans des élèves âgés de moins de 15 ans. Pour ces intégristes, 15 ans reste l'âge idéal pour convaincre un jeune et le pousser à épouser les thèses intégristes. Et puis, à moyen terme, ces élèves âgés de 15 à 20 ans seront bientôt des étudiants pour relayer leur idéologie au sein de l'université. Pourriez-vous nous citer quelques références privilégiées en matière d'idéologie intégriste ? Si on prend la Chabiba islamya, la première expression organisationnelle de l'islamisme marocain radical, on se rend compte que, depuis sa création en 1969, elle a contribué substantiellement à la diffusion de la pensée de Sayed Qotb, incarnée par son livre majeur « Signes de piste ». C'est là l'ouvrage de référence de l'intégrisme arabe. Et puis après, les intégristes serviront de relais à la littérature d'Abou Qatada, véhiculée principalement à travers son livre « Jihad et exégèse ».