Le 25 juin 2003, «Le Constanta», un navire de guerre battant pavillon roumain, embarquait une centaine d'artistes, écrivains et journalistes pour une croisière à travers plusieurs pays méditerranéens. Objectif : délivrer, de port en port, un message de paix. ALM a été de ce périple, il veut bien le partager avec ses lecteurs. Au fait, la présence de journalistes parmi les passagers du «Constanta» devait donner du fil à retordre aux autorités algériennes qui voulaient garder le black-out sur leurs bavures anarcho-policières : rafles musclées, détentions arbitraires, exécutions sommaires, tortures et autres excès perpétrés sous l'habit, très à la mode, de la lutte antiterroriste. «Les attentats ont nettement diminué ces dernières années, mais la répression policière, la restriction des libertés et du mouvement des civils algériens se poursuivent», s'indigne un jeune Algérien désœuvré venu partager avec nous une petite pause au restaurant-café «Tout va bien», sous le regard menaçant des deux agents secrets qui nous pistaient. La gent militaire avait intérêt à entretenir ce sentiment de psychose chez la population algérienne, surfant sur la vague de peur pour justifier des interventions disproportionnées avec le climat plutôt peinard qui régnait à Mostaganem. Les pacifistes n'avaient que faire de la «protection» policière contre des «attentats» ou, à moindre échelle , contre des «agressions» attribuées, à tort, à des citoyens algériens plutôt attachants. La présence d'étrangers incarnait, aux yeux de ces citoyens, l'espoir d'évasion hors d'un pays-prison. Ce n'était d'ailleurs pas un hasard si nombre de citoyens mostaganémois avaient été interdits d'entrée au port, au moment du débarquement du Constanta. Ils ont dû suivre la soirée artistique animée sur ce bateau-spectacle derrière les garde-fous donnant sur le port. En dépit du siège, ils ont pu communier, dans l'enthousiasme, et bougies à la main, avec des pacifistes venus leur offrir des rameaux d'oliviers, leur dire qu'ils n'étaient pas seuls face à un régime qui ne jurait que par le «tout au sécuritaire». Une politique qui a permis à la gent militaire de se faire des galons sur les ruines du «Fils du pauvre» (lire le roman de Miloud Feraoun). Les barbouzes, qui se lançaient sur nos traces, roulaient en voitures dernier cri, leur carrure jurait avec les silhouettes qui rôdaient dans les ruelles de Mostaganem. Des jeunes abandonnés se livraient à des petits commerces de fortune pour faire face à des jours difficiles. D'autres, lauréats des universités, ne savaient pas à quoi s'en tenir. «Après avoir décroché ma peau d'âne (Ndlr : diplôme), je ne sais à quel saint me vouer», nous confie une étudiante qui venait, ce jour-là, d'obtenir sa licence à l'université d'Agriculture de Mostaganem. Un autre jeune, qu'on retrouvera dans l'après-midi du 28 juillet 2003 sur la corniche de Mostaganem, n'a plus qu'un seul rêve : prendre le large pour vivre sous des cieux plus cléments. Une tentative qui n'est pas sans risque, il le savait, mais, pour ce jeune, cela valait mieux la peine de «brûler» à ses risques et périls que de rester le dos au mur. Les jeunes Algériens se sentent mal à l'aise dans ce rôle de «hittistes», passant tout leur temps à raser les murs. Un état difficile à expliquer dans un pays où ce ne sont surtout pas les ressources qui manquent, avec ce que cela implique en termes de pétrodollars. Mais passons, le 28 juillet au soir, le «Constanta» devait changer de cap. Destination : Alger. Les pacifistes devaient prendre leur courage à deux mains. L'étape de Mostaganem sera plus clémente que l'escale algéroise. Si bon gré mal gré les portes du port de Mostaganem nous ont été ouvertes, l'accès à la capitale algérienne nous sera complètement verrouillé. A notre arrivée à Alger, les autorités nous ont fait signifier qu'il était hors de question de quitter le port. Colère sur l'Héliport du «Constanta», le navire était en rupture de stock. Les passagers ne savaient pas qu'ils allaient être interdits de faire leurs courses même dans les magasins du port. Certains, par précaution, avaient profité de leurs vadrouilles à Mostaganem pour s'approvisionner en cigarettes, et tout. Le reste, c'est-à-dire la majorité, s'étaient retrouvés à sec. Pas une seule clope ! Mais contre toute mauvaise fortune, il fallait faire bon cœur. Le pactole, qui se trouvait à bord, sera partagé.