Le 25 juin 2003, «Le Constanta», un navire de guerre battant pavillon roumain, embarquait une centaine d'artistes, écrivains et journalistes pour une croisière à travers plusieurs pays méditerranéens. Objectif : délivrer, de port en port, un message de paix. ALM a été de ce périple, il veut bien le partager avec ses lecteurs. Richard Martin, initiateur de la croisière de paix, était invité à introduire le débat. Mais avant d'aborder le thème «Poètes et politiques», il répondit à une question que tout le monde se posait : comment un destroyer, en l'occurrence le «Constanta», destiné initialement à une mission guerrière, pouvait-il servir la paix ? «Trop souvent, des kamikazes détournent des avions pour en faire des bombes, au détriment de civils innocents, mais nous, on a pensé à détourner un navire de guerre pour en faire un outil de paix», répondit Richard Martin. Folle idée, d'ailleurs, beaucoup l'avaient accueillie au départ, sinon avec dérision, du moins avec scepticisme. Richard Martin, fort d'une équipe soudée, avec le soutien des sections de l'IITM basées dans une vingtaine de pays méditerranéens, n'y était pas allé de main morte. En véritable archer de la paix, il est arrivé à mobiliser l'état-major des Forces navales roumaines, qui mit à disposition un bateau de guerre monstre. Un véritable travail de fourmis se déploya pour le faire partir du «Constanta», ville roumaine située dans le Danube où le navire fut construit à l'époque de la guerre froide. «En mettant à contribution ce joyau de la Marine roumaine, les autorités de Bucarest ont montré qu'elles étaient acquises à la paix», fit constater Richard Martin. Seulement voilà, pour le vice-président de l'IITM, également patron d'un grand théâtre à Marseille «Le Toursky», les autorités françaises s'étaient montrées «très peu coopératives». Pour ce pacifiste convaincu, il aura fallu mettre sa vie en danger pour les faire adhérer. Un jour, il se suspendit à la fenêtre du «Toursky», prenant à témoins plusieurs journalistes de la presse française. Embarrassées, les autorités de l'Hexagone cèdent. Au gré des membres de l'IITM, décidés à aller jusqu'au bout de leur idée : réunir sur un même bateau deux mondes diamétralement opposés : d'une part, les militaires, de l'autre, des artistes. Question : comment faire rencontrer des soldats très fermes sur le respect de la discipline, et des saltimbanques pour qui, à l'instar des anar, «le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir» ? «Pari gagné», se réjouit Richard Martin. Si étrange que puisse paraître ce «mariage», il fut bel et bien consommé. «Pendant l'équipée, la preuve a été faite que l'on peut être militaire et savoir apprécier la musique, la poésie, et autres expressions du beau», fit remarquer Richard Martin, sous les applaudissements d'une centaine de citoyens tunisiens qui s'étaient donné rendez-vous ce jour-là sur l'Héliport du «Constanta». A la tribune, devaient succéder Habib Bel Hadi, responsable de la section tunisienne de l'IITM, Fadel Jaïbi, dramatuge et metteur en scène tunisien de renom, ainsi que des poètes, des politiques et des journalistes venus prendre la température d'une rencontre fructueuse. En effet, le débat était passionné et passionnant, il s'agissait de confronter deux visions opposées : celle de gens plébiscités pour gérer la chose publique, avec ce que cela implique en termes de réalisme, et celle de personnes supposées inscrire leur action en porte-à-faux avec cette vision des choses, en réhabilitant, comme le criait Hölderlin, cette dimension mythique dans la grisaille de notre réalité.