Le 25 juin 2003, le « Constanta », un navire de guerre battant pavillon roumain, embarquait une centaine d'artistes, écrivains et journalistes pour une croisière à travers plusieurs pays méditerranéens. Objectif : délivrer, de port en port, un message de paix. ALM a été de ce périple, il veut bien le partager avec ses lecteurs. «Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troie. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et dans son cœur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir, et ils périrent pour leur impiété, les insensés ! Ayant mangé les bœufs de Hélios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus». Une larme venait embuer les yeux de François Grimberg, notre compagnon de route, après avoir achevé de lire l'introduction de l'un des plus beaux textes poétiques qui aient jusqu'ici été écrits, «L'Odyssée» d'Homère. Les pacifistes, qui formaient une chaîne autour de M.Grimberg, avaient ressenti un petit pincement au cœur, en pensant au héros tragique de cette «Odyssée , Ulysse. «Bienvenue dans son ex-royaume», exhorta Virgile, ex-directeur du Théâtre Bulandra, à Bucarest (Roumanie). A 15 heures, du 20 juillet, la capitale d'Ithaca, Vathy, était à portée de regard. Au-dessus, le ciel était dégagé. Un silence religieux enveloppait le destroyer ; dans les cabines, quelques passagers prolongeaient encore leur sieste. Alors que le navire de guerre attendait le feu vert de la capitainerie de Vathy, pour faire son entrée dans le port, un vent très fort se leva. Un bruit assourdissant entonna dans les cabines, le «Constanta» tanguait au gré de houles immenses. Le haut-parleur cracha quelques paroles qu'on ne comprit point, on devina pourtant la voix du chef de manœuvre. Mouvement inhabituel parmi les marins, qui remontèrent à bord. Un regard à travers le hublot du «Constanta», et voilà de quoi donner des sueurs froides: Un gros ferry battant pavillon australien l'eut échappé belle ! A bord, son commandant était verdâtre de peur. Au même titre que l'équipage de ce gros bateau de plaisance. «Le Constanta a failli couper le ferry en deux», s'affola Patrick, un musicien embarquant avec les pacifistes. «Que s'est-il alors passé ?», demanda, mine de rien, un pacifiste, tiré d'une longue sieste par les cris s'élevant à bord. En effet, le destroyer, après avoir jeté l'ancre dans le large de Vathy, fut entraîné par un vent intempestif vers le port. Au point d'avoir raté le ferry australien qui embarquait des centaines de touristes. N'eût été la réactivité des militaires roumains, une catastrophe humaine se serait produite. Visiblement ahuri par cette éventualité sinistre, l'équipage décida de rebrousser chemin. «Mais que faire pour les passagers qui devaient débarquer définitivement à Vathy ?», interrogea Marc Cohen, le trésorier de la croisière. Nous étions trois à avoir alors pour point d'arrivée la Grèce, le reste des passagers devaient poursuivre la croisière jusqu'à la ville de «Constanta», située au bord du Danube. Que fallait-il faire face à l'impossibilité pour le «Constanta» d'accoster ce soir-là au port de Vathy. «Aux grands maux, les grands remèdes», lança Richard Martin, l'air défiant. A 20H00, un boat-taxi jeta l'ancre tout près du «Constanta» immobilisé dans le large. Nous fûmes débarqués en catastrophe, puis conduits par un vieux loup de mer, un marin grec aux moustaches bien fournies. «Pas de souci à se faire», rassura-t-il. «Nous sommes habitués au mauvais temps», ajouta-t-il, dans un français approximatif. Après avoir fait mes adieux à mes amis pacifistes restés sur le «Constanta», le boat-taxi, à bord duquel avaient également embarqué Richard Martin et Hélène Bourguignon (organisatrice), se précipita vers le port de Vathy. A 20H30, nous débarquâmes. A quai, nous fûmes accueillis par la responsable du service de coopération culturelle de l'ambassade de France à Athènes. La maire de Vathy, elle, brilla par son absence. Richard Martin fut vexé, d'autant plus que Mme la maire avait promis de nous accueillir. S'était-elle ravisée en dernière minute ? Contre l'avis du commandant de bord, soucieux de la sécurité de son équipage après le déclenchement de la tempête, elle aurait exigé que le «Constanta» débarque à Vathy. Si elle ne s'était pas portée à notre accueil, c'était pour exprimer son mécontentement à l'idée de ne pas voir le destroyer débarquer, comme prévu, à Vathy.