Le 25 juin 2003, le « Constanta », un navire de guerre battant pavillon roumain, embarquait une centaine d'artistes, écrivains et journalistes pour une croisière à travers plusieurs pays méditerranéens. Objectif : délivrer, de port en port, un message de paix. ALM a été de ce périple, il veut bien le partager avec ses lecteurs. Après notre folle équipée à travers monts et vallées, nous retournâmes en début d'après-midi au port de Saranda. Sur le « Constanta », une notice, affichée sur le journal de bord, annonçait le départ d'Albanie pour le soir du 18 juillet. Il nous restait donc tout une demi-journée, l'attrait de Saranda fut irrésistible. Nous nous passâmes du déjeuner servi sur le « destroyer », une promenade au centre-ville s'imposa. En dépit d'un lourd soleil qui brûlait les rues et de l'insécurité à laquelle nous étions également exposés. A 15 heures, après une demi-heure de trotte à travers les ruelles de Saranda, détour par un restaurant où nous fûmes copieusement nourris. L'endroit où nous mangeâmes n'était certes pas l'un de ces restaurants branchés d'Europe, loin s'en faut. Mais le menu albanais reviendrait trois fois moins cher que celui des pays de l'Europe de l'Ouest. Ce qui était valable pour le menu l'était également pour les objets d'artisanat : t-shirts au teint rouge foncé, sur lesquels étaient imprimées des photos d'aigles, symbole national albanais, porte-clés, petits plats en bois offrant de belles vues des plages de cette belle région de l'Europe orientale et autres tissus albanais vendus à des prix modiques. Avec quelques euros, les pacifistes avaient pu faire de belles provisions en objets-souvenirs. Traces d'une escale qui, malgré la précarité, l'insécurité, fut forte. Mais plus forte encore sera l'escale qui s'annonçait : Vathy (Grèce). Le 18 juillet, à 21 heures, le « Constanta » fit voile vers la capitale d'Ithaque, l'une des sept îles qui forment l'archipel des îles ioniennes. François Grimberg, chercheur à l'Université de la Sorbonne, qui se trouvait à bord, avait les joues tout roses d'émotion : « Nous irons dans une île où Ulysse fut roi », dit-il, d'un ton épique. Le royaume d'Ulysse, héros mythique, dont l'épopée fut célébrée par Homère dans son célèbre poème «Odyssée», suscita la curiosité sur le «Constanta». M. Grimberg, entouré de quelques pacifistes, ajusta ses binocles pour donner lecture de quelques beaux extraits de «L'Odyssée», avant de se lancer dans une explication-fleuve des aventures d'Ulysse, ce héros qui dût combattre le cyclone à l'œil unique, après avoir survécu à la prise de Troie, puis à la furie des flots, des tempêtes qui le jetèrent sur les côtes du pays des Lotophages en Libye, puis après sur les rivages de la Sicile… En embarquant pour Vathy, les pacifistes savaient, on le sentait, qu'ils remontaient à la source… de la civilisation humaine. Comme les îles ioniennes, Ithaque était restée habitée depuis la préhistoire. L'ex-royaume d'Ulysse put se forger une histoire riche et variée, sachant qu'il était situé sur la route d'invasion et de marché dans les Balkans, de l'Italie et du Levant. Situé à la croisée des chemins, l'archipel, traversé de différentes civilisations, fut l'un des territoires helléniques les plus convoités. Il aura ainsi fallu plusieurs années de combats pour déloger les Turcs d'Ithaque, en 1821. Ce n'est qu'en 1864 que cet archipel put être annexé par l'Etat grec, à cause de la situation internationale, en Europe et après une série de négociations. Restée pendant longtemps sous la domination étrangère, Ithaque ne sera pas au bout de ses peines après sa libération. En 1953, une série de tremblements de terre violents la secouèrent. Des efforts «ulysséens» furent déployés pour reconstruire cet archipel, devenu depuis le début des années 60 un véritable bout de paradis touristique.