En septembre 2025, la Chine introduira l'intelligence artificielle (IA) comme matière obligatoire dans toutes ses écoles, de la primaire au lycée. Huit heures minimum par an seront consacrées à l'apprentissage de l'IA pour chaque élève. Cette initiative s'inscrit dans une stratégie ambitieuse, amorcée dès 2017, visant à positionner la Chine comme le leader mondial de l'intelligence artificielle d'ici 2030. Au-delà de son caractère symbolique, cette décision traduit une vision claire : préparer une génération capable de comprendre, concevoir et encadrer les usages de l'IA, plutôt que de la subir. D'autres pays, comme les Etats-Unis, l'Italie, la Corée du Sud ou les Emirats arabes unis, s'engagent désormais dans cette même voie. Le Maroc dispose aujourd'hui de nombreux atouts. Sa jeunesse est connectée, curieuse et avide d'innovation. Des pôles numériques émergent dans plusieurs villes comme Casablanca, Rabat ou Benguerir. Et le pays affiche une volonté affirmée à travers sa stratégie numérique nationale et le Nouveau Modèle de Développement. Pourtant, l'intelligence artificielle n'est à ce jour ni enseignée, ni institutionnalisée à l'école marocaine, même sous forme d'initiation. Ce retard comporte deux risques majeurs : former des utilisateurs passifs, dépendants de technologies pensées et développées ailleurs, et accentuer la fracture numérique et sociale, en marginalisant les populations moins connectées. Le moment est venu de construire une stratégie éducative nationale sur l'intelligence artificielle, conçue pour renforcer la souveraineté numérique du pays, réduire les inégalités territoriales et sociales, et former des citoyens créatifs, critiques et responsables dans un monde façonné par l'IA. Il ne s'agit pas de reproduire mécaniquement le modèle chinois. Cette stratégie doit être inclusive, respectueuse du multilinguisme et de la diversité régionale. Elle doit également être éthique, en plaçant l'humain, la solidarité et le développement durable au cœur des usages de l'intelligence artificielle. Elle devra enfin être progressive, avec des contenus adaptés à chaque niveau d'enseignement. Il est nécessaire d'inscrire l'intelligence artificielle comme priorité dans les réformes curriculaires de l'éducation nationale. Un groupe de travail interministériel réunissant les ministères de l'Education, de la Transition numérique et de l'Enseignement supérieur devrait piloter une feuille de route cohérente. Des projets pilotes peuvent être lancés dès 2025 dans plusieurs établissements publics à travers le pays. Parallèlement, il faut investir dans la formation des enseignants, la traduction des contenus pédagogiques en arabe et en amazigh, et la production de ressources éducatives contextualisées. L'enseignement de l'IA ne peut se réduire à quelques heures annuelles. Nous proposons une intégration progressive, hebdomadaire et cohérente dès le primaire. À ce niveau, deux heures par semaine suffiraient à éveiller la curiosité des enfants à la logique, aux algorithmes simples et aux objets intelligents, dans une approche ludique reliée aux sciences, aux mathématiques et à la citoyenneté numérique. Au collège, quatre heures hebdomadaires permettraient d'ancrer les fondements de la programmation, d'explorer les usages quotidiens de l'IA et d'introduire les enjeux éthiques. Cette approche passerait par des ateliers pratiques, des mini-projets, et des études de cas critiques. Au lycée, six heures par semaine, accompagnées d'une spécialisation possible dans le cadre du baccalauréat, offriraient un approfondissement des concepts avancés de l'IA : apprentissage automatique, traitement de données, vision par ordinateur. Des partenariats avec les universités, des stages dans des startups et des laboratoires permettraient de renforcer cet apprentissage. Mais pour que cette formation soit solide, elle doit s'ancrer dans une véritable culture informatique. L'intelligence artificielle est un domaine parmi d'autres de l'informatique. Il est donc impératif d'enseigner les fondamentaux de cette discipline : logique, algorithmique, structures de données, réseaux, architecture des systèmes, programmation. Trop souvent, l'enseignement informatique se réduit à l'usage d'outils bureautiques ou de logiciels, conçus majoritairement hors du continent africain. Apprendre à utiliser un logiciel, quel qu'il soit, ne signifie pas apprendre l'informatique, et encore moins l'intelligence artificielle. Cette confusion, malheureusement fréquente, doit être dépassée dès les premières années d'enseignement. Former une génération IA, ce n'est pas répondre à une tendance passagère. C'est affirmer une vision stratégique d'avenir. C'est garantir au Maroc une place digne et active dans l'économie, la culture et la société de demain. C'est un projet structurant, à la fois éducatif, économique et civilisationnel. Le Maroc en a les moyens. Il ne reste qu'à faire ce choix avec ambition, lucidité et responsabilité.