Le départ en retraite de Abderramane Youssoufi fera-t-il des émules parmi les autres chefs de partis? C'est plus que souhaitable. Les leaders politiques marocains ont, en effet, battu tous les records de longévité barrant ainsi la route à des jeunes qui ont fini par vieillir dans des salles d'attente. La décision de Abderrahmane Youssoufi de se retirer de la scène politique, au-delà des raisons qui la sous-tendent, mérite d'être saluée et appréciée à sa juste valeur . Voilà un homme politique à la stature incontestable qui se résout de son propre chef de tirer sa révérence. Un fait, il est vrai, rare au Maroc où il est de coutume, pour les leaders politiques, de conserver leur fonction jusqu'à ce que la mort les en prive. Ils sont capables de penser à tout, sauf à préparer la relève dans la perspective de laisser de leur vivant la place aux autres. Au lieu de cela, ils s'accrochent au pouvoir comme des huîtres à leur rocher, croyant qu'ils sont indispensables à la survie de la structure qu'ils dirigent souvent d'une main de fer. Résultat : ce sont les mêmes hommes politiques qui accaparent la vie politique depuis plusieurs années pour ne pas dire décennies. Tout à leur résistance, ils refusent de croire qu'ils représentent un facteur de blocage et d'inhibition des énergies alors même qu'ils font le vide autour d'eux pour qu'ils restent les seuls maîtres à bord. Incontestés et incontestables. Pour entretenir le culte du chef qui a tout le temps raison, la gérontocratie au pouvoir sait susciter et récompenser les courtisans qui, au Maroc comme ailleurs, ne sont pas une espèce en voie de disparition. C'est là peut-être que réside leur gage de longétivité. Il ne faut surtout pas leur parler de la retraite à 60 ans. 60 ans pour eux, c'est l'âge de la maturité. Ils vous regarderont de travers en maudissant alors in petto. Cependant, il est clair que lorsque l'on atteint un certain âge, on ne peut avoir la même vision des choses que les jeunes qui, pourtant, représentent l'avenir de la Nation. Or, les vieux ne l'entendent pas de cette oreille. Pour eux, la question de “laisser la place aux jeunes“, ils ne sont pas contre mais les réduisent à un manque d'expérience. Autrement dit, pour que les jeunes accèdent aux postes de commandes, il faut qu'ils deviennent un peu plus vieux. Ce sont des obsédés du pouvoir. Le pouvoir en soi et pour soi. Les profils de ce genre, on les retrouve dans nombres de secteurs et de citadelles. Comment expliquer qu'un homme politique de la dimension de Ahmed Osman qui a eu tout de même une belle carrière et une vie remplie (président du Parlement, Premier ministre, député…) s'entête encore à se cramponner à la chefferie du RNI depuis sa création en 1977 au point que la parti se confond avec sa personnalité ? Un personnage de sa trempe qui a tout vu a-t-il quelque chose à prouver ? Le temps n'est-il pas venu pour lui de s'aménager une sortie réussie ? Ne se sent-il pas quelque peu déphasé, lui qui a plus de 70 ans, par rapport au Maroc nouveau de Mohammed VI ? Or, Ahmed Osman est sourd à l'exaspération grandissante des siens qui l'accusent d'avoir bloqué l'évolution du parti dont le dernier congrès remonte à plus d'une décennie. Voilà plusieurs années que les membres du parti critiquent sa gestion autocratique et sa propension à élaguer les têtes qui dépassent. La situation est telle que le chef, qui a du reste survécu à une vague de contestations internes, n'a pas préparé la relève. Bien au contraire. Il a tout fait pour qu'il n'ait pas de dauphin. Que deviendra le rassemblement qu'il a fondé quand il ne sera plus là ? Abderrahamne El Kohen, qui était un fidèle entre les fidèles, n'a-t-il pas fini par quitter le navire en créant son propre parti, le PRD ? En véritable mère couveuse, le MNP de Mahjoubi Aherdan a enfanté au fil du temps plusieurs petits mouvements. La raison des scissions successives est invariable : M. Aherdan lui-même. On reproche à celui qui a du ressort dans à l'adversité de refuser non seulement de lâcher prise mais de considérer le parti comme une affaire personnelle. Absence de démocratie interne et paralysie des instances dirigeantes. Il n'y a que Aherdan et personne d'autre. Dès qu'un membre du parti réclame un peu plus de transparence et de démocratie, Aherdan le tient pour un «iznogoud». Il est vrai que la vigueur de ce personnage atypique et sa verve critique démentent ses 87 ans. Mais n'est-il pas temps pour lui de savourer une retraire politique amplement méritée ? Résistant de la première heure au patriotisme chevillé au corps, animal politique doublé d'un artiste hors pair, l'homme fut de tous les événements du Maroc contemporain. Ex-ministre de la Défense et des PTT, il aurait pu donner l'exemple en se retirant pour rédiger ses mémoires en guise de legs aux générations futures. Le fera-t-il un jour ? En attendant que quelqu'un parmi les dinosaures le fasse, la vie politique nationale suit cahin-caha son bonhomme de chemin tortueux au gré des humeurs des chefs indéboulonnables. Abdelkrim El Khatib, secrétaire général du PJD et ami de compagnonnage de Mahjoubi Aherdan avec lequel il fonde le Mouvement populaire qu'il quitte en 1966 pour créer le MPDC, a certainement beaucoup de choses à dire. Vieux routier de la politique aux yeux malicieux, ce patriote se recycle sur le tard dans l'islamisme avec comme mission de maîtriser les élans impulsifs de Ramid et de ses amis. Lui non plus n'est pas du genre à rendre son tablier pour aller cultiver son jardin malgré son état de santé de plus en plus fragile. Mohamed Bensaïd Aït Idder, patron de la GSU (Gauche socialiste unifiée) qui a pris la place de la défunte OADP, est un vieux de la vieille. Il doit maintenant se sentir isolé avec le départ d'un de ses amis politiques, en l'occurrence Abderrahmane Youssoufi et la disparition de son compagnon de lutte pour l'indépendance Fkih Basri. Cet octogénaire a raté le coche pour n'avoir pas su saisir les occasions pour faire de l'ex-OADP un parti de gouvernement. D'égarement en égarement, M. Bensaïd et sa structure ont fini par n'exister nulle part sur l'échiquier politique. Aherdan, Osman, Bensaïd, El Khatib… Il n'y a pas que ceux-là qui continuent à s'accrocher à leurs fonctions et aux privilèges qui vont avec. Mais Aherdan et ses semblables sont peut-être les figures emblématiques d'un certain Maroc qui refuse de lâcher prise… C'est là aussi que réside le gage de sa longévité.