Les critiques dernièrement formulées par le ministre espagnol de la défense à l'encontre de la presse marocaine qu'il a accusée de "féodale et archaïque" nous incitent à faire un voyage au sein de la presse espagnole pour passer en revue quelques exemples de ses multiples pratiques peu orthodoxes. L'Espagne, pays membre de l'Union-Européenne faisant partie depuis presque vingt ans de la communauté des nations démocratiques, n'est pas encore arrivée à développer une presse capable de s'adapter à la nouvelle donne démocratique. Aussi, faut-il reconnaître que les pratiques de certains lobbies de pouvoir dans ce pays freinent l'expansion des médias espagnols et le développement d'une liberté de presse à l'image du statut de pays démocratique. En passant en revue la situation actuelle de la presse espagnole, on constate que les principaux organes de presse toutes branches confondues ne peuvent se prévaloir d'une véritable indépendance et d'une réelle impartialité. Et c'est ce manque de "souveraineté informative" qui se répercute sur le traitement de l'information qui se distingue par l'improvisation et les pratiques peu orthodoxes comme l'invention de faux scoops qui devient de plus en plus une règle dans le monde de la presse ibérique. Dans la presse écrite, les principaux quotidiens dits indépendants ont tous un penchant pour une tendance politique ou sont sous la tutelle d'un organisme étatique ou financier. Ainsi, on sait par exemple que le quotidien El Mundo est proche du Parti Populaire, parti de l'actuel président du gouvernement, José Maria Aznar, et que les journalistes de cet organe se distinguent en le mentionnant, dans leurs articles, comme "le président Aznar". Un titre qui n'est nullement constitutionnel et qui montre le degré d'irresponsabilité préméditée de cette publication. El Pais, le plus célèbre quotidien espagnol au niveau international, est connu pour son penchant pour les socialistes notamment la "tendance Felipiste" (en référence à Felipe Gonzalez) au sein du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE). De même qu'il existe des journaux qui se distinguent par des tendances nationalistes comme "El Periodico de Catalunya" ou "La Vanguardia" en Catalogne, ou "El Diario vasco" au pays-basque. Dans ce cas, il y a lieu de constater qu'il existe dans chaque région espagnole des quotidiens nationalistes ayant un penchant pour l'indépendance et d'autres défendant l'actuel statut d'intégration au sein de l'Espagne. Mais, si les quotidiens sus-mentionnés sont soutenus par des partis ou des tendances politiques, d'autres sont allés chercher leur soutien sous d'autres cieux. "La Razon", par exemple, est sous l'emprise des services de renseignements espagnols, d'où les multiples articles à vocation stratégique ou militaire et la publication plus ou moins régulière d'articles basés sur des rapports du Centre National d'Intelligence (services secrets espagnols). Cela dit, il est aussi important de mentionner que la liberté de presse en Espagne souffre encore des séquelles du Franquisme dont la culture dictatoriale est encore enracinée dans le système politique espagnol. D'ailleurs, la scène médiatique espagnole abonde en exemples de cas de censure ou d'emprisonnement de journalistes. De la censure, il suffira de citer l'exemple de la journaliste Isabel San Sebastián, qui dirigeait une émission de débats sur la chaîne de télévision privée "Antena 3 TV " et qui a été limogée injustement. Et même après son départ d'Antenna 3, elle a fait l'objet d'une certaine persécution de la part du secrétaire d'Etat espagnol à la communication, Alfredo Timermans, qui a multiplié les contacts pour avorter les tentatives d'Isabel de rejoindre une autre chaîne de télévision. Elle a fini par être engagée par la Radio Cadena SER, et c'est sur ses ondes qu'elle s'exprima sur la situation du journalisme en Espagne. "Modestement, en ce qui me concerne, je pense que la politique des médias du gouvernement consiste à écraser l'indépendance professionnelle. C'est-à-dire que l'on cherche des mercenaires de la plume, de la voix ou de l'écran, en parfaite formation de combat, et disposés à répéter ce que l'on leur ordonne… Je le sais, car cela fait des années que j'exerce le métier de journaliste mais je n'ai jamais pu l'être et on m'a obligé à être une mercenaire", a-t-elle dit sur les ondes de Cadena SER Radio, lundi dernier. Cependant, la censure n'est pas l'unique moyen utilisé par les autorités espagnoles pour "rappeler à l'ordre" un journaliste ou un organe de presse". Il existe aussi d'autres formes de pression. La semaine dernière, par exemple, le journal "El Semana Digital", connu pour ses révélations sur les dessous de la politique espagnole, a reçu une visite inopinée des inspecteurs du travail, la deuxième du genre en un mois, et qui visait à créer une ambiance de perturbation au moment du bouclage. Aussi faut-il mentionner, qu'en Espagne, le délit d'opinion est encore passible de peines d'emprisonnement. Actuellement, le journaliste basque, Pepe Rei, se trouve en prison pour un travail de recherches qu'il a publié dans la revue "Ardi Beltza" sur les complicités et les liens existant entre le pouvoir et les journalistes en Espagne dans un reportage intitulé "journalistes, le commerce du mensonge". Ainsi, il semble évident qu'il est d'une absurdité notoire que certains organes de presse espagnols estiment avoir le droit de s'ériger en donneurs de leçons à la presse et au pouvoir marocains sur la liberté d'expression.