Les relations politiques et diplomatiques entre Rabat et Madrid connaissent, particulièrement depuis la crise autour de l'îlot Tourah, un gel sans précédent. Contrairement aux rapports franco-marocains, qui sont au beau fixe et sont en perpétuel progrès. La France et l'Espagne sont les principaux partenaires économiques du Maroc. De loin, Paris occupe la première place. Les domaines d'interventions sont multiples. Madrid entendait même faire une rude concurrence à Paris sur certains créneaux. Mais, le politique compromet aujourd'hui un partenariat durable. Pour rechercher les raisons de ce paradoxe, il faudra remonter un peu dans l'histoire. Rien qu'à 1956, année de l'indépendance du Maroc. Les deux forces d'occupation auront une démarche similaire et comparable à bien des égards avec les démarches de décolonisation à travers le monde. On ne cède pas tous les territoires dominés. On tente d'en garder, à défaut du tout, le moins que l'on puisse. Tindouf sera rattaché au territoire algérien, qui restera sous domination française jusqu'en 1961. Côté espagnol, on rétrocède le strict minimum. Un peu au Nord. Un peu au Sud. Heureusement que le compte- gouttes ne s'y prête pas. C'est la mentalité coloniale de l'époque. Mais c'est surtout la gestion, depuis l'indépendance, des rapports avec l'ex-colonie, et les efforts consentis par les uns et les autres, pour réparer l'injustice du passé et en panser les stigmates, qui feront la différence. Bien sûr, la comparaison ne serait pas pertinente si l'on ne tient pas compte aussi du développement socio-historique et surtout politique de l'Espagne. La guerre civile de 1936 a visiblement marqué les esprits. La déchirure. La France quittera l'Algérie et ne gardera aucun territoire au Maghreb. Madrid sera progressivement conduite à remettre au Maroc certaines villes au Sud (Tarfaya, Sidi Ifni), avant d'évacuer, en 1975, les provinces sahariennes marocaines. Depuis, Madrid tente de faire oublier au Maroc ses villes encore occupées au Nord et les îles qui s'y rattachent. Tous les moyens, bon et mauvais, sont utilisés pour faire éterniser une occupation qui dure depuis le XVIe siècle. La question est capitale, aux yeux de Madrid. Les intérêts géostratégiques, notamment le contrôle du détroit de Gibraltar poussé au rang de droit historique, font renier la colonisation historique et anachronique pour faire des conquêtes coloniales des propriétés lbériques pérennes. Pour détourner l'attention des Marocains sur la nécessité de rétrocession des territoires par Madrid, on essaie de «racheter» le silence. Notamment par le biais de la coopération économique et politique. Madrid est prête à fournir tous les efforts pour venir en aide au Maroc, à condition qu'il reste un assisté et donc dépendant du bon vouloir de son tuteur. Cette tutelle s'exprime par le biais de réseaux économiques et de certains lobby communautaires. C'est ainsi que l'on a assisté, durant la dernière décennie, à une croissance réelle et substantielle des échanges entre le Maroc et l'Espagne. Commerciaux et humains. La relation avait commencé à avoir ses fans et ses supporters, de part et d'autre. La proximité et les intérêts communs mettaient l'Espagne dans une position confortable et pouvait même rivaliser avec la présence française et les échanges avec l'Hexagone. Des pas géants ont été réalisés. Cela va des pêcheries aux investissements au Maroc, en passant par un appui volontariste auprès de Bruxelles pour obtenir des aides au développement pour Rabat. Mais toute cette bonne volonté n'est pas si désintéressée. Car Madrid lie tout cela à la nécessité d'oublier le passé et le présent colonial. Ca peut marcher un moment, mais cela ne pourrait constituer une solution durable. Les intérêts perfides et les plans inavoués ne peuvent éternellement induire en erreur. Et ce n'est pas à coups d'avangardisme et de semblant d'amitié que les choses se régleront. Car rien ne vaut une franche amitié, basée sur le respect, d'abord. La crise de Tourah, l'été dernier, a démontré l'obsession de l'Espagne pour des territoires qui ne lui appartiennent pas. On serait encore loin du siècle des lumières et il faudra revenir à des débats, dignes du XVIII ou XIXe siècle, telle que la question de l'abolition de l'esclavagisme. Un impressionnant déploiement de l'armada espagnole, avec 7 navires de guerre, vont lancer le message des politiques et des militaires. Pas question de discuter des conquêtes du passé. La force prend le pas sur la raison. Le Maroc assiste dans la sérénité au déchaînement des passions de nos amis espagnols. Il fait appel à ses amis européens et occidentaux, amis aussi des Espagnols, pour trouver des solutions justes. Depuis, rien ne présage d'un dénouement de la crise, aujourd'hui encore à l'état latent. Pourtant, Madrid aura plus à gagner en adoptant une position qui respecte son voisin marocain. Les opportunités économiques et commerciales entre les deux pays peuvent remplacer l'apport des colonies à l'économie espagnole. Il suffit d'y penser.