La liberté provisoire dont viennent de bénéficier certains détenus du CIH et de la BP est un signal fort donné par le gouvernement Jettou. Politiquement rentable pour un Exécutif qui démarre. Dans le cadre de l'enquête complémentaire, le juge d'instruction de la Cour spéciale de justice est en train de relâcher les prévenus dont les charges ne revêtent pas un caractère pénal et qui sont à même de produire les garanties nécessaires. Mais il n'y a pas de coïncidence en politique. La liberté provisoire dont viennent de bénéficier des détenus dans le cadre du scandale du CIH et celui de la BP, il faut la mettre à l'actif du nouveau gouvernement, notamment le Premier ministre et le ministre de la Justice. L'un et l'autre sont des hommes de conviction qui entendent par cette mesure symbolique rendre à la justice sa sérénité en dépassionnant le débat sur des scandales qui ont défrayé la chronique et suscité la polémique. Cette action, somme toute normale dans un État de droit, sonne dans le contexte national comme un geste positif et exceptionnel. Politiquement rentable pour un Exécutif qui démarre, diront les observateurs. D'autres ne manqueront pas de noter que le gouvernement Jettou va ainsi engranger les dividendes d'une initiative qui sera appréciée à sa juste valeur par les milieux d'affaires. Cela rassure en tout cas sur la suite des événements et sur les intentions de la nouvelle équipe au pouvoir qui est appelée à œuvrer dans chaque acte qu'elle entreprend pour le retour de la confiance. À y regarder de plus près, il y a quelque chose qui a dérapé, au-delà de son caractère de juridiction d'exception, dans le fonctionnement de la Cour spéciale de justice. La détention préventive, qui n'est normalement qu'une mesure exceptionnelle pour les accusés qui n'ont pas produit des garanties nécessaires ou sur lesquels pèsent des charges à caractère pénal, est devenue la règle. On embarque tout le monde, les co-accusés sans distinction du degré de gravité des reproches faits aux uns et aux autres, et on les jette dans le pénitencier Zaki de Salé. Dès lors, ils sont considérés tous coupables. Et c'est en tant que tels qu'ils comparaîtront devant leurs juges (sans aucune présomption d'innocence). En attendant, ils croupissent et languissent en prison. Les affres de l'attente. La souffrance de la famille. Cette situation pénible doit ressembler, toutes proportions gardées, au couloir de la mort. Alors quel est le but recherché derrière cette façon d'envoyer les accusés à l'ombre et de les priver de comparaître en hommes libres ? Si c'est pour les humilier en les stigmatisant, c'est réussi. La CSJ et son annexe de Salé sont-ils devenus des machines à broyer les gens ou comme a dit quelqu'un notre Guantanamo Bay ? Une chose est sûre : si le gouvernement ne se prononce pas sur sa dissolution pure et simple de la Cour spéciale de justice, il faut au moins revoir son fonctionnement de manière à ce qu'elle ne soit plus considérée comme une instance exceptionnelle. Il aura fallu donc plus d'un mois et demi de détention pour que le juge d'instruction se penche sur le dossier des détenus du CIH et du BP. Dans la dernière affaire, tous les prévenus furent relâchés, hormis l'ex-pdg Abdellatif Laraki et l'homme d'affaires Hicham Aït Menna. Dans la première affaire, celle du CIH, quatre accusés dont un ancien cadre de la banque, Taïeb Belkahia, ont retrouvé leur famille. Le seul tort de celui-ci, ex-responsable du département juridique, est d'avoir confectionné un contrat où il s'est trompé sur un chiffre. Il ne fallait pas qu'il se trompe ! Les autres heureux bénéficiaires de la liberté provisoire n'ont fait qu'exécuter des instructions de leur hiérarchie. Ce qui s'est traduit par un cri de cœur d'un cadre du CIH au moment de l'arrestation de leurs collègues : “ On doit nous arrêter tous. Car nous faisons tous les jours le même travail que nos collègues. Nous exécutons les instructions de nos supérieurs“. Quant aux hauts cadres, les Benkirane et autres Slimani, ils n'ont pas fait partie du lot des libérés à cause des charges qui pèsent sur eux, notamment la dilapidation des deniers publics. Mais l'espoir est aujourd'hui permis pour les pensionnaires de Zaki.