La liberté provisoire accordée aux accusées dans les affaires du CIH et de la BP ainsi que les intentions de révision de la nature de la Cour spéciale de justice, voire sa dissolution, ont agréablement surpris l'opinion publique et les hommes d'affaires. A mettre à l'actif du gouvernement Jettou. Juste après les résultats des Législatives du 27 septembre, le gouvernement sortant s'empresse de reprendre les affaires du Crédit immobilier et hôtelier (CIH) et de la Banque populaire (BP). Les «principaux» inculpés sont arrêtés et traduits devant la Cour spéciale de justice (CSP). Le juge d'instruction refuse la liberté provisoire et les accusés voient venir la machine à broyer. La mort lente. Pourtant, il n'y avait pas le feu dans la baraque. L'initiative, prise par l'ex-ministre de la Justice, Omar Azziman, obéissait-elle à la politique politicienne, qui veut meubler le quotidien avec des affaires intéressant de près l'opinion publique, quitte à faire de la démagogie et de la hâte une pratique pour la « bonne cause » ? Tout porte à le croire. On pourrait mettre le pas franchi sur le compte d'une propagande en mal de résultats électoraux tangibles et d'un combat pour occuper les devants de la scène. Le gouvernement sortant croyait béatement en une reconduction à la gestion des affaires. La nouvelle donne, avec la nomination de Driss Jettou à la Primature, allait fausser les jeux et les calculs. Plus encore, la nomination de l'USFPéiste Mohamed Bouzoubaâ à la tête de Dame Justice, un département qui faisait partie des ministères de souveraineté, est perçue comme une manière de donner à ce parti l'opportunité de rétablir la Justice dans ses droits les plus élémentaires. Car, le pays en a conscience, la Justice ne peut prêcher par excès. Elle doit être juste. Elle ne doit obéir à aucun impératif politicien. Et, à défaut d'outils performants équitables, il faudra prendre tout le temps pour dire la chose de droit. Sans procès expéditifs ni lenteurs tuantes. La Cour spéciale de justice, en tant que juridiction d'exception, est toujours impopulaire. Elle ne donne pas aux accusés la possibilité d'une défense équitable. Et, même si c'est le cas, la sentence est acquise, bien avant le procès. Les organisations humanitaires et les milieux démocrates n'ont cessé de vouer aux gémonies le tribunal d'exception. Pourquoi l'exception? Le droit doit être l'unique exception et la seule règle. Le gouvernement Jettou aura agréablement surpris par les signaux donnés, depuis sa constitution, et la gestion progressive de ce dossier brûlant. Les inculpés dans les deux affaires ont été relaxés et mis en liberté provisoire. Un droit qui est soumis à l'existence de garanties ou de cautions. Mohamed Bouzoubaâ n'est pas allé par quatre chemins. Il faudra ôter à la Cour spéciale de justice son caractère exceptionnel. Elle doit devenir une juridiction de plein droit avec toutes les garanties, aux diverses étapes, de l'enquête et de l'instruction professionnelles, afin de se donner tous les moyens de ne pas commettre d'injustice. Les délais des jugements doivent être extrêmement réduits, car il est inconcevable et même innaceptable que dans un Etat de droit que des présumés coupables, qui sont innocents jusqu'à preuve du contraire, soient incarcérés pendant près de deux ans avant que les sentences ne tombent. Et que ces dernières soient, coûte que coûte inévitables voire fatales. Car le ministère public et donc l'Exécutif en aura décidé préalablement ainsi. Deux mesures audacieuses, à mettre au crédit du nouvel Exécutif, qui traduisent la volonté réelle de ne pas commettre d'injustice et de mettre le pays, encore plus, à l'heure de l'Etat de droit. La libération des inculpés ne peut et ne pourra compromettre les suites qui seront données à la résolution des problèmes et scandales financiers soulevés par certains établissements où l'Etat est actionnaire. Il y a d'autres moyens pour assurer la présence des accusés et leur disponibilité au service de la Justice. Le gouvernement sortant a commis une grosse bourde en refusant de leur accorder la liberté provisoire. La seconde mesure gouvernementale, qui consiste à revoir la nature et le fonctionnement de la cour spéciale de justice, voire sa dissolution pure et simple, s'inscrit dans le sens du recadrage du nouveau Maroc avec son environnement et avec les valeurs universelles du droit.