Le ministre de la Justice, Mohammed Bouzoubaâ, a annoncé la suppression prochaine de la Cour Spéciale de Justice. C'est la première fois qu'un membre du gouvernement se prononce sur le sort de cette juridiction exceptionnelle contraire aux principes de l'Etat de droit. La CSJ, qui est contestée par toutes les composantes de la société marocaine, vient par ailleurs de remettre en liberté provisoire la majorité des détenus dans les affaires du CIH et de la BP. Un bon point pour le gouvernement Jettou. L'un des premiers actes forts et fondateurs du gouvernement Jettou est venu du ministère de la Justice. La libération provisoire de la majeure partie des vedettes des affaires politico-judiciaires du CIH et de la Banque populaire instruites par la Cour spéciale de justice (CSJ). Hormis Ahmed Benkirane et Othmane Slimani, ex-dirigeants du premier établissement qui attendent d'être relâchés à leur tour, les autres détenus, qui ont tous passé la fête d'Al Aït Saghir parmi les leurs, vont désormais comparaître en hommes libres. Le juge d'instruction de cette juridiction en a décidé ainsi après avoir étudié le dossier des uns et des autres dans le cadre de l'enquête complémentaire. Cette action est à mettre à l'actif du ministère de la Justice et de son nouveau titulaire l'USFP Mohamed Bouzoubaâ. Cet avocat de carrière a touché de très près les dysfonctionnements de la CSJ pour y avoir plaidé nombre de dossiers au cours de ces dernières années. Il sait parfaitement que cette juridiction, telle qu'elle a fonctionné jusqu'ici, ne pouvait pas respecter les droits des accusés considérés comme coupables dès lors qu'ils comparaissent pour la première fois devant le juge d'instruction. C'est son caractère d'exception qui en a fait ainsi. Le prévenu, assisté de ses avocats, n'est pas censé prouver son innocence. Il est jugé pour que soient généralement confirmées les charges retenues contre lui dans le premier rapport confectionné par la brigade de la police judiciaire. Rarement lorsqu'il est blanchi. Le verdict et le condamné qui retrouve sa cellule de la prison Zaki de Salé où il a été maintenu auparavant sous mandat de dépôt avec un délai de détention conditionnelle qui peut durer plusieurs mois. Le fait que le ministère de la Justice soit pour la première fois confié à un politique montre si besoin est la volonté de réforme qui est celle des plus hautes autorités du pays. En cessant d'être un ministère dit de souveraineté, la Justice, qui cristallise à la fois les critiques et les attentes, doit désormais évoluer vers des horizons de transparence et de courage, loin de l'amalgame et du non-dit de ces dernières années: des responsables étaient subitement interpellés (comme dans le cas du CIH et de la BP) mais on ne savait pas exactement sur l'ordre de qui… C'est cette confusion nourrie parfois sciemment, préjudiciable d'emblée au jugement qui sera rendu plus tard, qui doit disparaître une fois pour toutes… Au-delà, il faut aussi que les procès pour divers délits financiers des hauts fonctionnaires dans ce pays cessent de prendre dès qu'ils éclatent un caractère politique sur fond de polémique poussée à l'excès. En d'autres termes, il s'agit de faire en sorte que les accusés ne se posent plus en victimes expiatoires de l'on ne sait quel règlement de comptes que l'on a voulu emmener à “l'abattoir“. En somme, Mohamed Bouzoubaâ a du pain sur la planche. On a longtemps ergoté sur l'indépendance de la justice qui demeure un principe intangible mais le pays a surtout besoin pour asseoir véritablement l'État de droit de juges indépendants. Fort de son expérience d'homme du barreau et de sa culture politique non négligeable, M. Bouzoubaâ saura -t-il poursuivre, avec le même volontarisme et la même détermination qu'il affiche aujourd'hui à l'égard de la Cour Spéciale de justice, son action de mise à niveau de cette fille aînée de la démocratie qu'est la justice ?