Le ministre de la Justice a dévoilé une série de mesures prises par son département pour la réforme d'un secteur stratégique taxé de tous les maux. La corruption, la lenteur judiciaire et l'archaïsme des tribunaux sont les principales tares qui plombent l'action judiciaire. Un projet de société démocratique et moderne passe inéluctablement par une justice équitable et indépendante. "Il est vrai qu'une justice indépendante, intègre et efficiente conforte la suprématie de la loi et assure confiance et sécurité pour les personnes et les biens. Si elle favorise le développement et incite à l'investissement, elle apporte aussi la garantie du renforcement de la stabilité et de la démocratie, que Nous plaçons au-dessus de toute autre considération". Cette phrase a été prononcée par SM le Roi Mohammed VI, le 29 janvier 2003, à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire. A elle seule, cette citation résume toute l'importance de la Justice et des réformes qu'elle doit subir. D'ailleurs, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), dont la dernière session s'est tenue du 2 mai au 16 juillet dernier, s'est imprégné de ce discours Royal et de celui du 1er mars 2002 que le Souverain avait prononcé à l'ouverture d'une autre session de ce même Conseil. Mohamed Bouzoubaâ, qui a convié, mercredi 6 août au siège de son ministère, la presse nationale et internationale, pour faire le point sur les travaux du CSM, a rappelé que la réforme de la Justice est en marche. Elle repose, rappelons-le, sur trois axes importants. L'amélioration des conditions financières des magistrats et autres fonctionnaires du ministère, la modernisation des procédures en introduisant notamment les nouvelles technologies de l'information et enfin la lutte contre toutes les formes de corruption. Pour ce qui est du premier axe, le ministre de la Justice a reconnu que la réussite de sa réforme reposait essentiellement, mais pas seulement, sur une révision à la hausse des revenus des magistrats. Aujourd'hui, les salaires des juges varient entre 10.000 et 30.000 DH. En fait, 10% des juges seulement, en hors-échelle, ont un revenu mensuel de 30.000 DH et la plus grande majorité débute à 10.000 DH, un salaire qu'elle touche pendant 10 ans. En plus du salaire, il n'y a pas de prime de rendement ou même de risque. A titre d'exemple, lors des procès sur le terrorisme, certaines séances durent des heures entières et les juges restent souvent jusqu'à minuit au tribunal. Pourtant, les heures supplémentaires ne leur sont pas payées, et aucune autre compensation n'est prévue en contrepartie. En fait, la justice marocaine souffre également d'un manque flagrant d'effectif. Statistiquement, chaque magistrat traite 1.000 affaires par an. Un chiffre énorme. Certaines affaires traînent des années entières. D'où l'idée de développer l'usage de l'outil informatique dans les tribunaux. "Les juridictions commerciales sont un modèle dans ce sens", affirme Bouzoubaâ. Et d'ajouter que "le ministère est en discussion avec les avocats pour installer un système permettant à ces derniers de consulter, de leurs bureaux et via Internet, l'état d'avancement des dossiers qu'ils plaident". A ce titre, le ministre a annoncé que l'achat prochainement de 2.500 nouveaux ordinateurs (en plus des 2.400 déjà installés) qui seront distribués sur tous les tribunaux du Royaume. "Le but, poursuit Bouzoubaâ, est d'avoir au Maroc un juge de la mondialisation, capable d'utiliser l'outil informatique et maîtrisant plusieurs langues". C'est là qu'intervient le volet de la formation. En plus de la restructuration de l'Institut National des Etudes Judiciaires (INEJ), le ministère de la Justice a préparé, en partenariat avec celui de l'Enseignement Supérieur, un projet de lancement d'une nouvelle branche d'étude dans les facultés de droit de Rabat et de Casablanca. Il s'agit d'une branche pratique destinée aux étudiants qui souhaitent faire carrière dans le domaine judiciaire. Les futurs magistrats, avocats, notaires ou huissiers passeront désormais obligatoirement par cette branche. Par ailleurs, le ministre a affirmé que la réforme de la Justice comporte également l'abrogation du caractère "exceptionnel" de la Cour Spéciale de Justice (CSJ), fortement critiquée par les défenseurs des droits d'homme. La CSJ sera remplacée par cinq nouvelles Cours situées dans cinq villes différentes du Maroc: Rabat, Casablanca, Tanger, Fès et Meknès. "Le projet de loi relatif à cette réforme est actuellement déposé au Secrétariat Général du Gouvernement" (SGG), assure le ministre. La CSJ traite des dossiers sensibles, où des commis de l'Etat sont directement impliqués. C'est le cas de l'affaire du CIH ou de la CNCA. Même les juges corrompus sont poursuivis devant la CSJ. Justement, en matière de lutte contre la corruption, rappelons que le Conseil Supérieur de la Magistrature a pris des mesures disciplinaires contre 31 juges. Citons notamment un d'entre eux qui a été révoqué pour "corruption". Deux ont été mis à la retraite pour "mauvais comportements". Sept ont été exclus temporairement et sept autres ont été considérés innocents. Par ailleurs, la réforme prévoit un redéploiement des magistrats à travers toutes les juridictions du Royaume. Sur ce point, la partie n'est pas gagnée d'avance. Le prédécesseur de Mohamed Bouzoubaâ, Omar Azziman, a tenté d'appliquer un redéploiement des juges. Mais ces derniers lui ont livré une résistance acharnée faisant ainsi avorter le projet de redéploiement. Malgré toute la bonne intention de Mohamed Bouzoubaâ, nul ne peut parier qu'il ne sera pas confronté à ce type d'obstacles.