Les familles de personnes en détention provisoire à la prison de Salé ont organisé hier un sit-in pour dénoncer la politique des « deux poids-deux mesures » prise, selon elles, par la Cour spéciale de justice. Ebauche de dénouement. Depuis mercredi, près de quatre-vingts personnes impliquées de détournements de deniers publics, qui sont toujours en détention provisoire, observent une grève de la faim de 24 heures. Ils réclament de bénéficier de la liberté provisoire, à l'instar des 39 inculpés dans les affaires de la Banque populaire, du Crédit immobilier et hôtelier et de l'Office de développement des coopératives. Une cinquantaine de personnes proches de ces détenus ont organisé, hier jeudi, un sit-in devant la prison de Salé. Objectif : soutenir les détenus pour bénéficier de la liberté provisoire. Le tout a été amplifié par des rumeurs persistantes sur une décision de non-lieu dans l'affaire de Laraqui, le P-DG de la Banque populaire. Mais selon des sources proches de ce dossier, l'instruction serait toujours en cours. Le procureur général près la Cour spéciale de Justice s'est déplacé sur les lieux pour suivre l'évolution de la situation. Une lettre lui a été remise par les familles et destinée au ministre de la Justice. Des décisions apaisantes ont été prises sur le champ. Cinq détenus ont été libérés moyennant des cautions, dont certaines de 2000 dirhams. Aux autres personnes toujours en détention provisoire, estimées à 76, il a été demandé de formuler des demandes pour l'obtention de la liberté provisoire. Avec la promesse que le Ministère de la Justice ferait preuve de plus de célérité dans l'examen des dossiers. Espérons que, d'ici lundi prochain, d'autres signaux forts seront donnés de sorte que les détenus sursoient à la grève de la faim illimitée qu'ils entendent observer pour faire entendre leur cause. Ils font le parallèle entre des dossiers transmis à la CSJ en octobre dernier et dont les prévenus ont bénéficié de la liberté provisoire. A cela, ils crient à une autre injustice qui ne tient pas compte de l'ampleur et de la consistance des chefs d'accusation. L'histoire de la mise dans le même panier un voleur d'œuf et un voleur de bœuf, avec un «favoritisme criard » envers les seconds. Autrement dit, ils s'opposent énergiquement et veulent mettre un terme à la logique, selon eux, qui fait qu'aux gros bonnets l'on réserve un traitement de faveur : la liberté provisoire, alors que les damnés de la terre sont condamnés à subir, sans aucun recours, l'infernal de la détention. Surtout que l'attente est longue et l'instruction se fait au gré des juges d'instruction et de leur disponibilité. Parmi les détenus provisoirement, il y a des cas qui remontent à un an et plus. Une aberration si l'on se réfère aux dispositions juridiques qui fixent à six semaines le délai de l'instruction des dossiers soumis à la Cour spéciale de Justice. Ce délai n'a, hélas, qu'un caractère indicatif puisque le législateur a omis de mettre des sanctions au dépassement des délais. Par exemple la libération automatique des prévenus, comme c'est le cas en France ou encore en Italie. C'est là un autre aspect qui témoigne d'une grande perte de crédibilité de la part de cette juridiction d'exception. En effet, depuis la saisine des affaires du CIH et de la Banque populaire par cette Cour, ses aberrations et incohérences judiciaires ont été mises à nu. Tant par les médias que par les organismes de défense des Droits de l'Homme. De plus, le nouveau ministre de la Justice prône sa dissolution. Une position reprise par le ministre des droits de l'homme dans une interview parue hier dans notre confrère Le Matin du Sahara. C'est apparemment une grande préoccupation du gouvernement Jettou. Mais il faudra du temps pour y parvenir. Des sources avancent certaines intentions officielles de son remplacement par une Cour spéciale qui serait chargée de crimes financiers. En tout cas, il faudra faire un véritable remue-ménage dans la maison CSJ. Car sur les 145 dossiers dont elle a été saisie, une soixantaine ont été traitées et jugées. Le reste attend son tour au niveau de l'instruction. Or les personnes impliquées sont toujours détenues et ont dépassé les délais de l'instruction. Reste qu'une formule pourra être trouvée de sorte à assurer une transition raisonnable entre l'actuelle structure et celle qui devra lui être substituée. Des juristes invoquent la possibilité de faire table rase du passé et de recommencer l'instruction, sous l'auspice de la nouvelle Cour, qui, en principe, devra être entourée de toutes les garanties d'une justice équitable. La dernière initiative prise par le ministre Mohamed Bouzoubaâ, consistant en la soumission du rapport de la commission parlementaire sur la Caisse nationale de sécurité sociale à un audit pour l'expertise des chiffres avancés, pourrait servir, selon les cas, de pratique courante dans les affaires liées à des détournements de deniers publics. La nomination de M. Mustapha Jalal, par S.M. le Roi, comme nouveau président de la CSJ est perçue comme une volonté de mettre un terme définitif à une juridiction qui a fait son temps. Surtout que le nouveau président représente le Ministère de la Justice dans le dernier Conseil consultatif des droits de l'homme mis en place par le Souverain à la fin de l'année 2002.