Parallèlement au regain de piété et de l'affluence record des croyants vers les lieux de culte, le mois du jeûne voit aussi prospérer toutes formes de dérives et d'excès profanes peu compatibles avec les vertus et la morale religieuses. Une situation qui suscite l'indignation des milieux religieux, mais qui est, par ailleurs, conforme à une certaine schizophrénie de la société marocaine. Le Ramadan, comme tout le monde sait, est le mois du recueillement, de l'ascèse, de la purification, du don de soi et de l'empathie. Dès le premier jour, c'est la métamorphose générale. Pas seulement en ce qui concerne les horaires de travail, ou encore les coutumes gastriques et religieuses. Cela est perceptible même au niveau vestimentaire. On se rabat sur les habits traditionnels, féminins comme masculins. Il y a aussi les petits métiers qui accompagnent le mois sacré. Le nombre de marchands ambulants décuple et ceux qui travaillent à longueur d'année redoublent d'activité en cette période, en étanchant l'espace de leur boutique ou tout simplement en installant de la marchandise aux alentours. De jeunes chômeurs qui retroussent les manches et s'attèlent à une activité commerciale donnée exclusivement et seulement pendant ramadan. Mais les changements les plus frappants, et qu'on taît, sont ceux des grands paradoxes. Le mois sacré est devenu un rendez-vous avec les interdits. Il s'agit plus particulièrement de la prostitution, des drogues et des jeux de hasard. C'est un mystère qui reste sans explication. Est-ce parce que le soir est le moment de la journée où l'on se « libère » de bien des frustrations ? comme l'affirme un psy, Mustapha Hilal. Peut-être. D'une journée sacralisée dans la purification du cœur par le jeûne, on passe, à travers la rupture du jeûne, à une désacralisation totale de celle-ci à la fin de la journée. Les buveurs d'alcool, obligés d'observer une cure avant même le début du mois sacré, se rabattent sur les différentes drogues disponibles sur le marché. Quelque chose qui fait tourner la tête en attendant la délivrance le jour de l'Aid Fitr. Cela varie du cannabis au shit, sans parler des comprimés psychotropes. Au centre de la ville, les cafés regorgent de clientèle, tandis que ceux des quartiers populaires se transforment en de véritables arènes de différents jeux, avec les consommations comme principaux enjeux. Mais en réalité et dans la plupart du temps c'est bel et bien d'argent qu'il s'agit comme enjeu. Ce qui est un phénomène rare pendant les autres mois. La consommation du haschich devient dix fois plus florissante que durant le reste de l'année, et pas seulement à cause de l'absence de boissons alcooliques. Certains cafés en permettent l'usage, car les fumeurs de drogue dépensent plus d'argent, en multipliant les consommations. Un autre aspect tout aussi paradoxal que banal, puisqu'il se répète systématiquement à chaque ramadan. Les mosquées deviennent archicombles durant tout le mois sacré, alors que pendant le reste de l'année, les prieurs se font beaucoup moins nombreux. Le phénomène s'est transformé en tradition. Le lendemain de l'Aid Al Fitr, la chute du nombre des prieurs est impressionnante. Certains font la prière pour que leur jeûne se fasse accepter par Dieu. D'autres font du ramadan un espace de temps de repentance, et essayent tant bien que mal de se racheter dans l'espoir de ne plus retourner au monde des pêchés. Alors que la règle générale c'est que tous les mois sont propices pour se repentir et rompre avec les mauvaises habitudes et autres vices. En tout cas, chacun le prend selon sa propre notion du mois sacré, et se retrouve en prieur régulier pendant 30 jours. Ces nombreux aspects qui accompagnent le mois sacré font de lui une exception. Outre qu'il s'agit d'un pilier de l'islam, et en dehors de sa nature religieuse, le mois de ramadan est le rendez-vous traditionnel des paradoxes. Pour certains, c'est de l'ambiance. Pour d'autres, le ramadan n'est plus ce qu'il était du temps de nos ancêtres.