Vous souvenez-vous de la scène du film Slumdog Millionaire dans laquelle le jeune garçon plonge au travers d'une épaisse couche d'excréments pour tenter d'approcher le célèbre acteur indien Amitabh Bachchan ? Vous souvenez-vous que ce garçon venait d'utiliser des latrines collectives, installées juste au-dessus d'une rivière? Prétexte à un beau moment de cinéma, drôle de surcroît, ces latrines sont malheureusement une réalité quotidienne pour des millions de personnes, non seulement en Asie du Sud mais dans le monde entier. Récemment, la campagne contre la défécation à l'air libre en Inde, «Take Poo to the Loo», (Faire caca aux toilettes) menée par l'Unicef sur les réseaux sociaux, a suscité beaucoup d'attention parmi les médias. Certains ont admiré sa franchise tandis que d'autres se sont demandé pourquoi avoir choisi un personnage de dessin animé, Poo, et un air entraînant, pour traiter d'une question aussi sérieuse. L'accès à des toilettes adéquates n'a en effet rien de comique. L'Unicef et l'Organisation mondiale de la santé viennent de publier des chiffres actualisés : 2,5 milliards de personnes – soit le tiers de la population mondiale – n'ont pas accès à des toilettes adéquates et un milliard d'entre elles doit déféquer à l'air libre. L'accès à des sources améliorées d'eau potable est un autre grave problème pour les 748 millions de personnes qui en sont privées. Sans faire la Une des journaux, l'Unicef et l'ONU essaient constamment de changer cette réalité pour les millions de personnes qui sont tenues à l'écart des progrès réalisés dans leur pays. Le vice-secrétaire général de l'ONU, M. Jan Eliasson, a lancé un «Appel à l'action», demandant à des intervenants très variés de redoubler d'efforts pour atteindre la cible des OMD concernant l'assainissement. En avril, l'Unicef, au nom du partenariat Assainissement et Eau pour tous, a organisé à la Banque mondiale une réunion au cours de laquelle les dirigeants d'une cinquantaine de pays, principaux donateurs aussi bien que pays bénéficiaires, ont pris des engagements fermes et quantifiables en vue de remédier au manque d'eau potable et d'assainissement des populations qui comptent parmi les plus pauvres et les plus défavorisées du monde. Le secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, a lui-même présidé l'ouverture de cette réunion. Parmi les objectifs fixés, 17 pays se sont engagés à mettre fin à la défécation à l'air libre en 2030 au plus tard, et plus de 20 pays se sont engagés à assurer l'accès universel à l'eau et à l'assainissement – de tous leurs citoyens sans exception – en 2030 au plus tard. Il y a de très bonnes raisons de réaliser ces engagements. Citons d'abord l'indignité que subissent les femmes qui doivent aller dans les champs, ou sur les rives de lacs ou de rivières, pour déféquer, ce qui leur fait courir des risques de viol ou d'agression. Et le fait que, en l'absence d'eau courante dans les foyers, aller chercher de l'eau incombe dans plus de 70% des cas aux femmes et filles, qui consacrent des milliards d'heures par an à cette corvée. Citons aussi les conséquences de ce problème dans la vie courante de personnes qui existent réellement, notamment d'enfants. Les maladies diarrhéiques liées au manque d'eau salubre et d'assainissement adéquat tuent chaque année plus de 500.000 enfants de moins de cinq ans. Les retards de croissance – problèmes de développement physique et cognitif de l'enfant – sont liés à de fréquentes crises de diarrhée. Le problème touche plus de 162 millions d'enfants de par le monde et les pays concernés subissent ainsi un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars en revenus. Et la liste des problèmes ne s'arrête pas là. La polio, l'une des maladies les plus dangereuses de la planète, qui connaît actuellement une nouvelle résurgence, est également liée à la contamination fécale. Il ne suffira cependant pas d'une seule réunion à Washington pour changer le quotidien des personnes sans accès à des toilettes adéquates ou à de l'eau potable. Tout comme la campagne «Poo to the Loo» rappelle la responsabilité de tous, c'est à chacun d'entre nous de contribuer à préserver la santé de nos concitoyens, nos pays et notre planète. Déjà l'approche communautaire de l'assainissement total de l'Unicef a aidé quelque 26 millions de personnes et des centaines de collectivités du monde entier à mettre fin à la défécation à l'air libre. Mais cela ne suffit pas. Ce qu'il faut avant tout, c'est mettre fin au tabou qui entoure la question et en parler librement. Citoyens de la terre, notre seule planète, nous devons insister auprès de nos gouvernements pour qu'ils prêtent attention à cette question. Votre ministre des finances ou de l'eau et de l'environnement a-t-il assisté à la réunion de haut niveau sur l'assainissement et l'eau pour tous et y a-t-il pris des engagements? Renseignez-vous. Demandez à votre gouvernement de tenir ses promesses. Et ne vous arrêtez pas là. Si vous vivez dans un pays qui connaît des problèmes d'eau et d'assainissement mais dont le gouvernement n'a pas assisté à cette réunion ou pris d'engagement, demandez-lui ce qu'il prévoit de faire pour remédier au problème. Au XXIe siècle, nous avons tous la possibilité de nous exprimer, possibilité qui peut être amplifiée, notamment par les médias sociaux, jusqu'à ce que nos dirigeants nous écoutent. Le sujet n'a rien d'une plaisanterie. Il est impératif que nous remédiions à ce problème fondamental. Par Nicholas Alipui Directeur des programmes de l'UNICEF