Dans un article paru dans le quotidien « Le Monde », Robert Solé explique les lois fondamentales pour mener à bien un entretien journalistique. Cet article devrait être revu par ceux qui se hasardent à réinventer le journalisme. La ligne éditoriale du grand quotidien français «Le Monde», surtout dans la manière parfois très partiale de traiter de l'actualité politique au Maroc peut hérisser et susciter un certain mécontentement ici et là. Mais, par contre, en ce qui con-cerne le professionnalisme et la pertinence de sa rédaction, l'expertise de ses journalistes et la qualité d'encadrement qui caractérise ses équipes, il s'agit bien d'une école de référence pour le journalisme, lorsque ce métier prend le soin de veiller sur ses fondamentaux, de préserver ses valeurs et de se faire tout simplement respecter. L'un des journalistes chevronnés de ce quotidien, Robert Solé, qui assume les fonctions de médiateur au sein du journal, là aussi une spécificité maison, a écrit la semaine dernière un article qui mérite d'être signalé, d'être programmé dans les écoles de journalisme et de figurer parmi la documentation de référence de ceux qui veulent se frayer un chemin durable dans ce métier très particulier. Le papier en question est consacré à l'entretien journalistique. Prenant prétexte sur un courrier de lecteur qui se demande quelle signification avait la mention «lu et approuvé» contenue dans l'introduction d'un entretien avec une femme politique, dans le prolongement de l'élection présidentielle en France, le médiateur a expliqué qu'il s'agit bien d'une innovation journalistique du «Monde». L'objectif est, selon les explications de l'article, de distinguer entre une interview réalisée par le journaliste et traitée exclusivement par celui-ci, selon les seules normes journalistiques, l'entretien qui a été «lu et approuvé» et, enfin, l'entretien qui a été «relu et amendé» par l'interviewé après transcription. L'occasion pour le médiateur de faire une digression didactique très instructive sur l'art de l'interview. «Comment reproduire le mieux possible les propos d'un interviewé ? s'interroge le journaliste. La question ne se pose guère à la radio ni à la télévision, où les mots prononcés sont diffusés tels quels à l'antenne. C'est en revanche un casse-tête pour la presse écrite, obligée de retranscrire sur le papier une conversation orale. De manière partielle d'ailleurs (le journaliste coupe une réponse jugée trop longue, redondante ou inutile) et forcément imparfaite (impossible de traduire une émotion de l'interlocuteur, une hésitation dans sa voix…)» Se posant également des questions délicates sur la nature des rapports qui s'établissement entre l'interviewer et l'interviewé, Solé balise les marges de l'intervention après-coup du premier, qui, sous peine de dénaturer l'exercice même de l'entretien recueilli oralement, ne devrait en aucun cas réécrire entièrement ses réponses, voire les questions comme cela s'est déjà vu dans le métier. Le médiateur du «Monde» donnera aussi quelques repères devant encadrer l'exercice de l'interview: «une interview doit toujours apporter du neuf», l'interviewer «doit être maître du jeu : c'est lui qui conduit l'entretien et en fixe les thèmes (…), il doit pousser l'interlocuteur aussi loin que possible, sans chercher pour autant à le piéger : l'objectif n'est pas de lui arracher une phrase, aussitôt regrettée par l'intéressé, et sur laquelle il ne pourrait pas revenir, comme cela arrive en direct, sur les ondes» Conclusion : «C'est la qualité du travail journalistique (pendant l'entretien puis lors de sa mise en forme) qui est déterminante. Relue ou non, une bonne interview – vivante et instructive – est rarement contestée, par l'interviewé comme par le lecteur». ce sont là des paroles de l'expertise et de l'expérience. Chez nous, malheureusement, on trouve parmi nous certains qui se posent encore des questions virtuelles sur des interviews potentielles, ou encore mieux, qui inventent à la fois les questions, les réponses et la situation d'entretien.