D'éminents ministres de Bouteflika, alors étudiants à Casablanca à la même époque, ont préféré désobéir à l'appel de Boussouf et rejoindre l'Europe et l'Amérique plutôt que le maquis. Ils répondront, en revanche, et avec zèle, à l'appel du pouvoir prodigue, quarante années plus tard en 1999, pour servir le pays avec une âme intacte de coopérants. Bouteflika les imposera au gouvernement, malgré l'opposition des services de renseignements de l'Armée qui en avaient rejeté la candidature pour désertion avérée ! Le jeune Bouteflika est affecté, pour y accomplir l'instruction militaire, à l'Ecole des cadres de l'ALN de Kebdani, entre Nador et Oujda, que dirigeait Abdellah Larbaoui, dit capitaine Mahmoud, futur secrétaire d'Etat à l'hydraulique sous Boumediène. Larbaoui trouve le jeune Bouteflika trop chétif et le refuse dans son établissement. Sa petite corpulence lui vaudra d'ailleurs le sobriquet de «mikrada» (petit singe) dont aimait à l'affubler Abdelhafid Boussouf qui commandait la Wilaya V. Bouteflika entrera finalement, après intervention du commandement, à l'Ecole des cadres où il fera la connaissance d'une recrue qui ne le quittera plus : Nourredine Yazid Zerhouni. Le compagnonnage entre Bouteflika et Zerhouni, s'il date de ce moment-là, ne fut pas toujours harmonieux, contrairement à ce que laisse supposer la complicité qui lie les deux hommes depuis 1999. Quelques piquantes trahisons l'ont émaillée. Pendant la guerre, leurs itinéraires respectifs ne se sont pas beaucoup croisés : Zerhouni fera carrière au ministère de l'Armement et des Liaisons générales (MALG), qui donnera naissance à la Sécurité militaire dont Zerhouni sera l'un des chefs ; Bouteflika suivra Boumediène jusqu'à en être le ministre des Affaires étrangères. Sous le règne de Boumediène, Zerhouni, adjoint de Kasdi Merbah à la tête de la Sécurité militaire, ne fut pas étranger à certains rapports accablants contre le noceur diplomate, Abdelaziz Bouteflika, dont certains furent, selon Nezzar, établis par son propre cousin, Ferhat Zerhouni. Sous Chadli, le lucide Yazid Zerhouni, lors de la session du Comité central de décembre 1981, votera pour l'exclusion de Bouteflika du FLN ! « Bouteflika, que je rencontrais régulièrement dans les années 1980, ruminait sans cesse ce qu'il appelait la "félonie de Zerhouni et des faux amis" », se rappelle Ghozali. D'avoir lâché Bouteflika vaudra à Zerhouni d'occuper d'insignes postes d'ambassadeur sous Chadli, à Washington,Mexico et Tokyo. A Mexico, Nourredine Zerhouni eut cependant l'infortune de succéder à Mostefa Lacheraf : ce dernier profitait de son séjour dans la capitale mexicaine pour faire des recherches sur la civilisation aztèque ; Zerhouni s'y distingua par le commerce des voitures de marque Mercedes. A chacun sa passion ! Bouteflika et Zerhouni ne se verront plus jusqu'en 1989, l'année où Bouteflika fut réintégré au sein du parti. Yazid Zerhouni rendit alors courageusement visite à son ancien compagnon, dans son appartement de la rue Ibrahimi, à El Biar. Abdelkader Dehbi, qui fut l'une des relations de Bouteflika durant sa « traversée du désert » et qui assista à l'entrevue entre les deux « faux amis », se rappelle de la remarque acrimonieuse de Bouteflika à l'endroit de Zerhouni, après le départ de ce dernier : «Ces genslà ne marchent qu'avec les gens debout. Tant que j'étais hors du système, il prenait soin de m'éviter.Maintenant que je suis revenu au FLN, il s'est soudainement rappelé de moi. » Dans le zèle du ministre Zerhouni à mettre le gourdin et les écoutes téléphoniques au service du président Bouteflika dès 1999, il y a beaucoup du désir de se racheter une amitié. La biographie officielle énonce qu'à son recrutement dans l'ALN, Bouteflika occupa les fonctions de «contrôleur général de la Wilaya V». La formulation volontairement ambiguë, en attribuant au poste une dimension honorable, suggère que son titulaire supervisait les activités de la zone opérationnelle à partir d'un quartier général installé au maquis. Dans la réalité, Bouteflika n'était pas «contrôleur général» mais contrôleur tout court. Il ne supervisait pas la Wilaya V, mais inspectait pour le compte de la Wilaya V. « La fonction de contrôleur était propre à la Wilaya V, explique le commandant Azzedine. C'était la seule Wilaya dont la direction était installée au Maroc et qui, de ce fait, avait besoin d'agents d'inspection et de sensibilisation pour s'informer de l'état des troupes activant en Algérie ou aux frontières. » La tâche du contrôleur, proche de celle d'un commissaire politique classique, consistait à plaider la cause de l'ALN auprès des populations rurales algériennes pour en obtenir le ralliement, le renfort ou le soutien. Parallèlement à ces opérations de propagande, le contrôleur établissait des enquêtes qui donnaient lieu à des rapports. C'est comme cela que Chérif Belkacem a rencontré Abdelaziz Bouteflika pour la première fois : « Je venais de traverser la ligne Morice ainsi que la ligne Challe, du côté de Maghnia, dans la Wilaya V. J'étais porteur d'un message de mécontentement sérieux au sein de plusieurs zones de la Wilaya. Boumediène a alors voulu en savoir plus sur moi et sur "ce complot" dont il disait qu'il était "fomenté par l'extérieur". Il a chargé Bouteflika de cette mission. Je le voyais pour la première fois. Il devait se renseigner sur moi, sur Redouane – c'était mon nom de code – et sur "le complot". Il m'a donné l'impression d'un jeunot assez sûr de lui. Je l'ai "charmé" par mes propos au point que son rapport m'a totalement disculpé. Il y affirmait, notamment, que j'étais un jeune étudiant sincère...» Bouteflika se consacrera à cette fonction de contrôleur durant dix mois, entre 1957 et 1958. «Cette période fut la seule dont on peut dire qu'elle fut celle du maquis pour Bouteflika », souligne Chérif Belkacem. Elle comptera, en tout cas, comme la seule qui démentira la thèse soutenue obstinément par les adversaires du président selon laquelle le résistant Bouteflika n'aurait connu du maquis que le Maroc et sa frontière, puis l'Europe et ses palaces, pour n'entrer en Algérie qu'en juillet 1962. Le général Nezzar, notamment, a vu une significative méconnaissance des réalités du maquis algérien de la part de Bouteflika dans sa propension à citer – « en agitant le poing comme si elles avaient répercuté les mêmes échos que les monts Tamalous de Zirout, Kafi et Saout El Arab, l'Akfadou d'Amirouche, Palestro d'Ali Khodja et Azzedine... » – les grottes de Fellaoucène (ghiran Fellaoucène), proches des frontières marocaines parmi les hauts lieux de lutte de la guerre de libération : « Les combats pendant la guerre de libération se déroulaient sur le sommet des crêtes et non pas à l'intérieur des grottes. Les grottes, et autres casemates, servaient aux maquisards comme dépôts de marchandises ou infirmeries. » Cette version, sans être inexacte, ne retient cependant de la carrière du résistant que la période dorée, celle où il basculera dans les bras protecteurs de Boumediène pour ne plus vivre de la révolution armée que l'ambiance paisible de l'état-major basé au Maroc, les incursions à Ghardimaou, l'interlude malien et les innombrables fugues qui, toutes, l'éloignèrent autant de l'Algérie.