Directeur du quotidien algérien «Le Matin», Mohamed Benchicou a publié à la veille des présidentielles algériennes un livre pamphlet, «Bouteflika : une imposture algérienne», qui retrace la carrière politique et militaire du président Abdelaziz Bouteflika. Le livre, qui a fait l'effet d'une bombe, a valu à son auteur deux ans de prison ferme. En novembre 1999 à Monaco, il se distinguera en qualifiant Chadli de «quelqu'un qui n'est pas aviateur, mais qui a pris les commandes d'un Boeing 737 », regrettant que « Chadli qui est resté finalement autant de temps au pouvoir que Boumediène a curieusement mis le même temps pour détruire tout ce que Boumediène avait construit ». Devant la journaliste du «Financial Times», il poussera un peu plus loin le dénigrement : « J'étais surpris un jour d'apprendre par la télévision que le chef de l'Etat algérien de l'époque et le chef d'Etat français de l'époque, que Dieu ait son âme, avaient eu un entretien en tête-à-tête de dix heures. Je connais les deux, je sais que le chef de l'Etat français pouvait parler pendant dix heures. Je ne suis toujours pas sûr que le chef de l'Etat algérien - et il est toujours vivant - pouvait, lui, parler pendant une demi-heure, pour dire des choses très essentielles. » Il répétera cette odieuse comparaison entre Chadli et Mitterrand, avec plus d'emphase, à la télévision égyptienne, soulevant une tempête d'indignation au sein de l'opinion algérienne. «Quand j'ai entendu, de mes propres oreilles, ces propos peu honorables sur Chadli, j'ai été tellement outré que j'ai réagi par un article dans El Khabar, se rappelle Benyellès. J'ai rappelé à Bouteflika qu'il a accepté d'être le ministre de cet “ignorant” qu'il insulte aujourd'hui devant les étrangers, qu'il en a été le subordonné au gouvernement et au Bureau politique, qu'il a bénéficié de son indulgence à propos des fonds qu'il avait détournés et que sans cette indulgence il aurait dormi en prison… Comment un personnage qui a mangé dans la main de Chadli, et je mesure mes mots, peut-il être à ce point ingrat ? En fait, Bouteflika est un “haggar”, un terme intraduisible, qui dépeint un homme à la versatilité mesquine, qui passe de la servilité à l'arrogance selon qu'il soit vulnérable ou puissant.» En fait, le chef de l'Etat a beaucoup manifesté de cette ingratitude, n'éprouvant aucune reconnaissance envers les compagnons des années d'épreuves. Il en a effacé les souvenirs d'amitié, oublié les instants de camaraderie, comme si ne devait plus rien rester de cette époque que le goût de la revanche. Nombreux sont les vieux amis de Bouteflika qui eurent à se plaindre de n'avoir plus reconnu dans le président l'homme qui sollicitait leur compagnie aux temps de la solitude. «Je crois que le pouvoir déforme, Abdelaziz n'a pas échappé à la règle et je comprends», lâche un peu dépité Larbi Debbagh, un ami d'enfance de Bouteflika avec lequel il a usé les fonds de culottes sur les bancs de l'école d'Oujda. «Nous sommes nombreux à ne plus le voir et un peu déçus qu'il ne cherche pas après nous…» «Il ne s'est pas rappelé de ses amis et pourtant, je peux témoigner que, durant sa traversée du désert, il était en quête constante de chaleur humaine, se souvient Abdelkader Dehbi. Les responsables de l'époque ne le prenaient pas au téléphone, Mohamed Chérif Messaâdia, par exemple, le laissait appeler dix fois avant de daigner lui parler… Il vouait une grande considération pour les responsables qui demandaient de ses nouvelles, tel le général Mohamed Attaïlia, devant lequel il s'aplatissait à notre grand étonnement. Il recherchait une présence amicale et nous ne la lui refusions pas. Il en abusait souvent, s'imposant de longues journées chez les amis à évoquer le passé et étaler ses rancœurs. Il exagérait tellement qu'il en a parfois fini par excéder ses plus proches relations. Un jour, il s'est carrément fait mettre à la porte par son copain Berri dont il avait outrageusement squatté l'appartement à Genève… On le supportait parce qu'il faisait un peu peine à voir. » Le président Bouteflika s'est très peu souvenu des promesses faites par le candidat Bouteflika aux amis de l'opprimé Bouteflika. L'ancien officier-encadreur de Bouteflika à l'Ecole des cadres de l'ALN,Mahmoud Larbaoui, qui l'a entouré de son affection durant les années de solitude, est mort en septembre 2001 sans avoir récupéré son habitation confisquée en 1987 par les services de la Présidence et attribuée à un homme d'affaires lié à Larbi Belkheir. Bouteflika s'était pourtant engagé en 1998 à réparer l'injustice et à lui restituer son bien s'il accédait au pouvoir. «Le pauvre Larbaoui a envoyé des dizaines de télégrammes au président Bouteflika sans jamais recevoir la moindre réponse de celui qu'il considérait comme son frère», atteste Dehbi, qui a suivi le déroulement de l'affaire. Larbaoui ignorait sans doute que c'est dans cette villa du Paradou, à Hydra, dont il fut dépossédé que s'est tenue, en présence de l'homme d'affaires qui l'a accaparée, M. Koudjiti, la réunion de candidature de Bouteflika ! M. Koudjiti, en plus d'être une relation de Larbi Belkheir et d'avoir géré les fonds de la campagne électorale de Bouteflika, hébergeait le futur président dans son appartement de Genève et lui assurait un train de vie royal en Europe durant les années d'exil ! C'est lui qui organisera, en février 1999, la rencontre des vingt-deux grands financiers de la campagne électorale du candidat Bouteflika à laquelle ont pris part les plus gros patrons privés algériens et au cours de laquelle des centaines de milliards de centimes ont été récoltés. Au début de cette fameuse réunion, Bouteflika, s'adressant aux vingt-deux généreux donateurs, leur tint ce langage prémonitoire : «Ne m'en voulez pas si après les élections je vous oublie. Le fauteuil fait tourner la tête (el koursi idewekh). Alors faites-moi rappeler, je vous prie, à mes devoirs d'amitié, pour qu'on se voie une fois chaque mois…» Il n'avait pas tort : la plupart des prodigues mécènes furent oubliés une fois la victoire acquise. Une bonne partie d'entre eux choisira, pour 2004, de soutenir le concurrent de Bouteflika, Ali Benflis. Bouteflika fera d'autres promesses en toc à des opposants tunisiens en exil à qui il promit de délivrer un passeport algérien une fois élu président. Les adversaires de Ben Ali devinrent alors de chauds soutiens pour le compte du candidat, qui en oublia l'existence dès son accession au pouvoir ! Entre Masmoudi, Ben Ali et ses opposants, le choix était vite fait. Le seul héritage laissé par l'exilé au président fut cette passion infinie pour les règlements de comptes. Le président Bouteflika passera les cinq ans de son règne à venger sa blessure narcissique. Il fera payer les outrages faits au successeur de Boumediène spolié de son droit au trône, il se vengera des affronts infligés au dignitaire réduit à l'exil par ces mêmes spoliateurs. Il se délectera de voir ses anciens procureurs solliciter son pardon, il jubilera devant le spectacle de ses détracteurs quémandant une parcelle de notoriété… Bouteflika a fait du mandat présidentiel l'opportunité d'assouvir une vieille soif de vengeance. Il en rêvait. Il a toujours désiré revenir au pouvoir pour prendre sa revanche sur Chadli, sur les généraux qui l'auraient spolié de la succession à Boumediène en 1979, mais aussi sur les membres du Comité central qui avaient voté pour son exclusion du FLN, surtout ceux qu'il pensait être ses amis comme Rédha Malek, Lakhdar Brahimi, Aït Chaâlal ou même Yazid Zerhouni qui ont tous approuvé l'exclusion de Bouteflika. C'est sans doute à ces derniers que s'adressait cet amer constat lâché à Monaco : « Je dois dire, avec beaucoup de douleur et d'amertume, que les meilleurs cadres que j'ai connus avant les années 80 ont été pollués durant les vingt dernières années et qu'il ne reste plus grand monde. »