C'est avec un discours profondément réformiste que Tariq Ramadan est venu à la rencontre des étudiants de l'université Mundiapolis de Casablanca. Déplorant une jeunesse qui souffre de fatalisme, et appelant à une «révolution intellectuelle dans les sociétés à majorité musulmane», cette icône d'un courant de pensée musulman tourné vers l'Occident, orateur hors pair, n'a pas manqué d'obnubiler l'assistance. «Nos jeunes ont aujourd'hui un problème d'identification. Les anciens repères explosent et nous n'arrivons pas à en tracer de nouveaux», a-t-il affirmé, expliquant que les jeunes se posent des questions auxquelles le discours religieux traditionnel ne répond pas. «Ce discours est tellement idéaliste qu'il ne fait que rendre coupable», a-t-il ajouté, appelant à une vision plus réaliste de la religion musulmane. Le théologien, professeur à l'université d'Oxford au Royaume-Uni, fait un constat pour le moins accablant de la situation des sociétés à majorité musulmane. «Nous n'avons pas, jusqu'à aujourd'hui, réussi à produire quelque chose en phase avec notre culture et où les jeunes se sentiront bien, culturellement, artistiquement et intellectuellement», a-t-il tranché. Prenant le relais sur le volet politique et socio-économique de la question, Alain Gresh a lui aussi relevé un «malaise» que connaissent les jeunes, «pas seulement dans le monde arabe mais également en Europe», a-t-il précisé. Selon le directeur adjoint du Monde diplomatique, spécialiste des questions du Moyen-Orient, un phénomène de blocage de l'accession des jeunes aux postes de responsabilité conjugué à une évolution démographique considérable créent le sentiment, pour les jeunes, d'être mis à l'écart. «A partir de là, on peut expliquer la mobilisation des jeunes pendant ce qu'on appelle le printemps arabe de manière très simple. D'un côté, ils sont la cible première du totalitarisme de l'Etat, d'un autre ce sont des jeunes qui arrivent à l'âge adulte et qui n'ont aucune perspective, en partie à cause de la crise économique», a-t-il noté. Faisant une véritable ode à la liberté, le petit-fils de Hassan El Benna a, lui, appelé à une révision de notre relation à la tradition. «Le discours de l'interdit et du haram ne nous mènera pas vers l'avenir», a-t-il avancé, ajoutant que «les sociétés à majorité musulmane ont un problème avec la liberté». Ce problème, selon Tariq Ramadan, ne viendrait pas du texte sacré puisqu'en Islam, «la dignité vient de la liberté et du savoir». La clé serait, donc, d'arrêter de limiter le succès des jeunes aux accomplissements scolaires, mais de leur donner une liberté liée à la responsabilité. « Il faut arrêter de dire à nos jeunes «Soyez bons à l'école et taisez vous» (…) il n'y a pas une religion qui ne soit pas basée sur «tu ne seras libre que quand tu seras responsable». Dans ce sens, Tariq Ramadan évoque le rôle de l'éducation et de la culture pour dissiper le malaise entre ce qui est inculqué à la jeunesse et la réalité qu'elle vit. «Dites- mois ce que vous enseignez, je vous dirai où vous me menez», a-t-il déclaré. Mettant le doigt sur certains défis spécifiques au Maroc, cet habitué des amphithéâtres du Royaume a notamment relevé la question de la langue de l'enseignement qui s'impose comme question prioritaire. Insistant sur l'importance de l'enseignement et assurant que le monde ne se change pas «par la quantité capitaliste mais par la qualité spirituelle», Tariq Ramadan a rappelé que «le Maroc est très privilégié par rapport aux pays de la région, mais ces privilèges arrivent avec un lot de responsabilité». «Le partage de l'héritage selon une interprétation littérale du Coran est injuste» L'islam est-il une religion qui opprime les femmes? Pour certain, la réponse est évidemment positive. Pour d'autres, le simple fait de poser la question est offusquant. Pour Tariq Ramadan, le texte coranique et les hadiths du prophète peuvent être interprétés dans une philosophie d'égalité. «Le problème, c'est que nous avons toujours eu une interprétation masculine des textes sacrés, dans des sociétés qui étaient, à la base, patriarcales», explique-t-il. Les déclarations du théologien suisse d'origine égyptienne sont une véritable bouffée d'air frais pour les femmes musulmanes. S'exprimant lors d'une conférence de presse à l'occasion de sa récente visite au Maroc, Tariq Ramadan a, par ailleurs, déclaré que le partage de l'héritage selon une interprétation littérale du Coran (comme c'est le cas au Maroc) est «non seulement injuste, mais contraire à l'esprit du texte sacré». Prenant exemple sur le Calife Omar Ibn Al Khattab qui avait aboli la peine punissant les vols lorsque le contexte ne s'y prêtait plus, Tariq Ramadan a expliqué que «le texte relatif à l'héritage est définitif dans son énonciation, mais pas dans son application». Il faudrait, donc, selon lui, poser la question de la finalité puisque le contexte socio-économique a radicalement changé. C'est avec ces mêmes idées réformistes que Tariq Ramadan a abordé la question de l'avortement. «Je m'opposerai à tout texte de loi qui interdirait l'avortement de manière définitive», a-t-il déclaré. Selon lui, l'islam adopte une approche du cas par cas sur la question, en étudiant le contexte et les aléas de chaque situation. «On ne protège pas une religion par l'interdiction mais par la cohérence», a-t-il conclu.