L'avis que vient de donner le Conseil de la Concurrence, suite à une saisine émanant du Président de la Chambre des Représentants portant sur les règles de la concurrence dans le secteur privé de l'enseignement, pose des problématiques profondes qui méritent débat. La saisine parlementaire est intervenue dans un contexte particulier, celui de la pandémie et du confinement qui s'en est suivie avec le recours à l'enseignement à distance. Ce qui a donné lieu, on s'en rappelle, à un véritable « conflit social » entre les exploitants des écoles privées et les parents et tuteurs des élèves. Le point de discorde entre les deux protagonistes portait essentiellement sur le prix à payer pour un service (marchand) qui n'est plus le même dans la mesure où on est passé d'un enseignement en présentiel à un enseignement à distance. Mais au-delà de cet incident de parcours, l'enseignement privé pose une série de problèmes auxquels le Conseil de la Concurrence s'est intéressé, sans parvenir à apporter une réponse claire à la question qui lui a été posée. L'avis, composé de plus de 120 pages, aborde le secteur privé dans l'enseignement dans sa globalité. On y trouve une série d'informations portant sur les ressources humaines (54557 enseignants, 17529 cadres administratifs, 32447 travailleurs dans les services annexes ), sur l'évolution des effectifs des apprenants (1068000 en 2019-2020, soit 15% de l'effectif global des inscrits), le nombre d'établissements ( 6 922 unités en 2019-2020 contre 3 861 en 2010-2011, soit presque le double), le chiffre d'affaires réalisé par le secteur (autour de 20 MM DH), la contribution aux ressources de l'Etat (autour de 1 MMDH), les subventions et avantages multiples dont il bénéficie (foncier, emprunts à taux d'intérêt réduits, exonérations fiscales). Les aspects juridiques et organisationnels sont passés au crible. Tout comme d'ailleurs ce qui touche à la gouvernance. Ainsi, le Conseil a passé en revue les différents intervenants allant du Ministère de tutelle (éducation), à l'emploi, en passant par l'Intérieur, les Finances, le transport, l'Equipement, l'urbanisme, les collectivités territoriales...Nonobstant une panoplie de réglementations et une jungle de textes et de procédures, la conclusion du rapport est pour le moins surprenante : il y a « absence de contrôle effectif » !! « Sur le terrain, et suite aux déclarations des parties auditionnées, il paraît que les établissements privés opèrent en absence presque totale du contrôle de leurs performances ou de sanctions appliquées à l'encontre des contrevenants. Dans ce sens, le Ministère de tutelle a confirmé l'irrégularité dudit contrôle, notant, à titre d'exemple, que ses comités administratifs n'ont pu visiter que 27% des établissements pendant l'année scolaire 2017-2018. Alors que l'opération de contrôle et d'évaluation de la performance administrative et pédagogique, effectuée ̧ en mars 2017, par l'inspection générale, n'a concerné que 459 établissements ». Les raisons qui expliquent une telle défection résident, de l'avis du Conseil, dans : l'insuffisance de ressources dédiées au contrôle et à l'inspection et certains obstacles entravant la profession d'inspection pédagogique ; l'absence d'entités administratives indépendantes pour la gestion de l'enseignement scolaire privé au niveau des AREF ; le chevauchement du champ d'intervention du Ministère de tutelle et des académies régionales d'éducation et de formation et des missions d'autres services régionaux provinciaux ; la difficulté d'application des sanctions et des mesures administratives et répressives à l'égard de contrevenants aux dispositions de la Loi n° 06.00 ; l'émergence de dysfonctionnements dans la gestion des établissements privés, dont les sanctions appropriées à leur égard ne sont pas prévues par la Loi n° 06.00... Que propose le Conseil pour y remédier ? Ses recommandations et conclusions sont les suivantes : élaborer un nouveau cadre contractuel définissant les objectifs et les responsabilités entre les établissements scolaires privés, l'Etat et ses organes ; réviser le cadre juridique pour accompagner les changements que connait le marché de l'enseignement scolaire privé et répondre aux nouveaux défis auxquels est confronté le système éducatif national ; mettre en place des mécanismes à même de renforcer la dynamique concurrentielle entre les différents opérateurs sur le marché de l'enseignement scolaire privé ; repenser le rôle de l'Etat en vue de d'assurer un équilibre entre les prestations rendues par les établissements privés et celles dispensées par l'école publique ; mettre en place par l'Etat des mesures permettant l'accès des familles aux services offerts sur le marché de l'enseignement scolaire privé. Considérer une telle activité comme un simple marché est un exercice périlleux. Plaider pour la liberté des prix, comme le fait le Conseil, découle d'une vision marchande et bassement mercantiliste dans un secteur spécifique qui ne produit pas de simples valeurs d'usage, et qui plus est, ne remplit pas les conditions d'un marché concurrentiel, dont en particulier l'absence de la transparence. Le Conseil est on ne peut plus explicite : « Cependant, le Conseil considère que la liberté de fixer les prix ou les frais de services de l'enseignement scolaire privé, et les soumettre à la logique de l'offre et de la demande demeure un pilier fondamental pour garantir la concurrence sur le marché concerné et assurer son bon fonctionnement. La liberté des prix garantit la diversité de services pédagogiques et l'amélioration de leur qualité, et stimule l'investissement dans le marché concerné. En plus, toutes les expériences internationales, dans ce domaine, insistent sur la liberté des prix de services de l'enseignement privé, considérée comme un véritable levier pour le développement de ses établissements ».(p.108). Bien sûr, on ne peut pas faire grief au Conseil de la Concurrence pour ces déclarations discutables voire infondées. Il a fait de son mieux pour répondre à une question mal posée. Voire qui n'a pas lieu d'être posée. Le curseur du débat sur l'enseignement privé ne doit pas être mis sur l'existence ou non de la concurrence. Il s'agit d'une problématique beaucoup plus vaste qui renvoie au modèle de société que nous voulons pour notre pays. Elle renvoie au rôle du secteur public seul à même de garantir une véritable égalité des chances et d'assurer une formation de qualité pour tous les enfants marocains quelle que soit leur origine sociale et leur situation matérielle. Le marché, qu'il soit concurrentiel ou non, est par définition excluant. Pourquoi ne pas envisager des formes intermédiaires qui ne relèvent ni du marché, ni de l'Etat en s'ouvrant sur le « tiers secteur » considéré, à juste titre, par le NMD comme un levier fondamental de développement ? Nous pensons que le secteur de l'ESS, comme les coopératives, les fondations, les associations d'utilité publique, pourraient être mises à profit dans ce domaine. Voilà un créneau où il faudrait faire preuve d'imagination en s'inspirant de certaines expériences réussies sur le terrain.