L'espoir placé dans les putschistes maliens pour ramener les civils au pouvoir et prendre d'immenses défis à bras le corps après des années de dégradation fait peu à peu place au désenchantement devant la militarisation de la transition et la lenteur des progrès accomplis. Les Maliens ont d'abord salué dans le putsch du 18 août les prémices d'un « Mali nouveau » les éloignant de la violence jihadiste et communautaire, et d'une profonde crise économique, sociale et politique. Quatre mois plus tard, « il semblerait que cela soit de la manipulation », dit Boubacar Diawara, docteur en droit public et spécialiste des questions de gouvernance. Les partis, vite évincés des prises de décisions, ont à la quasi unanimité dénoncé les méthodes des militaires qui, eux, gagnent de plus en plus en influence. Le Mali est « un pays fragile construit comme un château de cartes », dit M. Diawara, « la junte avait la possibilité d'en consolider les bases, mais ils ne l'ont pas fait ». Les pratiques qui ont eu raison de l'ancien pouvoir déchu, comme le népotisme ou l'immobilisme, ainsi que les réalités n'ont pas radicalement changé pour l'heure. Les hôpitaux sont débordés par les cas de Covid-19, et une gronde sociale monte avec une grève illimitée de certains services publics. Sur le terrain, les attaques jihadistes sont moins nombreuses, mais il est difficile d'y voir un lien direct avec les changements à Bamako. Dernièrement, c'est la création du Conseil national de transition qui a fait polémique. Le CNT tient lieu de Parlement pendant les 18 mois qu'est censée durer la période transitoire précédant le retour de civils élus au pouvoir. Les facteurs de nomination de ses 121 membres, et même l'identité réelle de certains d'entre eux demeurent obscurs. D'autres ont été nommés sans avoir postulé. L'exemple du cinéaste Boubacar Sidibé est parlant: il s'est porté candidat et a été retenu puisque son nom figurait dans les fichiers avec sa date de naissance et sa profession. Mais quand il s'est assis sur son siège lors de la session inaugurale, un homonyme s'est présenté, a indiqué que le siège 101 était pour « le quota des militaires », et le cinéaste a été remercié. « On est en train de remettre sur la table les mêmes irrégularités procédurales que celles qu'on dénonçait avant », pense Abdourhamane Ben Mamata Touré, ancien directeur de la formation à l'Ecole nationale d'administration. L'avocat est désabusé: « On a programmé en amont l'échec des réformes qu'on veut engager. Le principe le plus fondamental est la confiance, et nous avons déjà trébuché dessus ». Les militaires ont promis de rendre le pouvoir aux civils, mais la place qu'ils se sont arrogée dans l'appareil de transition laisse ouverte la question de leurs motivations. Parmi les chefs du putsch, une puissante vice-présidence a été taillée sur mesure pour le colonel Assimi Goïta; le colonel Malick Diaw a été promu président du CNT, tandis que le colonel Sadio Camara et le colonel-major Ismaël Wagué ont pris les stratégiques ministères de la Défense et de la Réconciliation. Sur les 20 gouverneurs du pays, 13 sont désormais militaires après un train de nominations en novembre. Certes, le président de transition Bah N'Daw et son Premier ministre Moctar Ouane restent des civils. Mais la mystérieuse disparition médiatique du premier pendant plusieurs jours a nourri les questionnements sur leur réelle marge de manoeuvre. « Aujourd'hui, c'est Goïta qui fait tous les choix, Bah N'Daw est là pour signer les décrets et c'est tout », estime le chercheur Diawara. Pour Mamadou Ismaila Konaté, ancien ministre de la Justice, ceux qui crient à la militarisation « ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes: on a laissé Assimi Goïta désigner le président, le Premier ministre, les trois quarts du gouvernement, la quasi-totalité du CNT ». « Même la Reine d'Angleterre et le Pape ne sont pas capables de désigner autant de personnalités de l'Etat », ajoute-il. Un diplomate occidental nuance: « Ceux qui dénoncent la militarisation à outrance oublient que la transition est militaire depuis le début, et que ça ne dérangeait pas grand-monde ». Un autre abonde: « il y a des possibilités de réformes, il faut en profiter! » En dehors des Etats-Unis, qui ont suspendu toute assistance militaire le temps de la transition, les autres partenaires du Mali ont pris acte de la situation. Beaucoup plaident la nécessité du pragmatisme. Face à la presse, le Premier ministre a voulu rassurer: son gouvernement est « à pied d'oeuvre pour donner du sens à cette transition » durant laquelle les réformes doivent paver la route à des élections début 2022.